Africana Plus

No 23 Mars 1997.3



Serment missionnaire

"Au service de l'Afrique jusqu'à la mort"


Chers parents et amis,
En vous quittant au début du mois d'octobre 1996, je vous disais que la guerre était loin de Kisangani et qu'il ne fallait pas avoir peur. Je vous écris, six mois plus tard, et je vous dis que je ne suis plus au Zaïre : la ville de Kisangani a été conquise le 15 mars. J'appartiens désormais à un autre pays. C'est une situation précaire... de prisonnier éventuel.

Je sais que les nouvelles que vous regardez à la télévision ne sont pas intéressantes. Je sais aussi que vous êtes inquiets face à notre situation. J'ai entendu un jour mon père affirmer ceci : "On ne divorce pas après 50 ans de mariage!" Dans cette phrase, il résumait toute sa conviction profonde d'une personne qui n'a qu'une parole. Celle-ci, une fois donnée, était comme inscrite dans du béton.

Les difficultés actuelles ne peuvent pas, pour le moment, me faire divorcer de l'engagement pris : "Au service de l'Afrique jusqu'à la mort". Vivre au jour le jour cette parole donnée frise, à certains jours, l'héroïsme. J'ai essayé de faire mon discernement en communauté, le pour et le contre, partir ou rester. Je ne vois pas encore des raisons suffisantes qui m'obligeraient à sortir du Zaïre. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Mais elles ne sont pas encore assez lourdes pour faire incliner la balance du côté départ.

Il y a un risque. La vie est remplie de risques. Celui-ci ne fait qu'allonger la longue série de risques de la vie. Il y a aussi cette certitude que le Seigneur ne me fera pas défaut. Il est là et il continue à m'aider chaque jour.

Actuellement, il y a comme une psychose chez un peu tout le monde. Tous ont peur. Pour un rien, on peut faire des bêtises. Les terreurs sont omniprésentes, la plupart «imaginaires» pour le moment.

L'archevêque et presque tous les évêques de la Province du Haut-Zaïre, maintenant du Haut-Congo, ne savent pas comment entrer dans leurs diocèses, conquis ou détruits totalement. Une Église qui passe par une période de purification. Sera-t-elle capable d'interpréter les signes des temps et d'en tirer toutes les conséquences en vue de continuer sa marche vers la terre promise ? Actuellement, dans l'archidiocèse de Kisangani, il ne reste que deux paroisses rurales non pillées, avec leurs prêtres. Les autres paroisses sont vides. Imaginez les conséquences. On se regroupe en ville, attendant des jours meilleurs. Plus de 50 prêtres... La plupart des soeurs ont quitté... Que faire ? Tout ça fait réfléchir, croyez-moi.

Les confrères qui vivent actuellement dans les coins conquis par les rebelles continuent à faire normalement leur travail sans difficulté, en paix. Les rebelles ne sont pas aussi méchants que les médias le laissent croire. Ils sont les libérateurs d'un régime qui a duré trop longtemps. On veut se débarrasser de cette dictature. C'est une des raisons de leurs succès. Il n'y a pas d'opposition sur leur chemin.

Il y a des choses qui font mal : les quelques 200 000 réfugiés qui sont poursuivis par leurs ennemis jurés errent dans la forêt. Les organismes humanitaires internationaux sont tous partis : dans quelques jours il n'y aura plus de nourriture pour ces milliers de gens. C'est la misère noire.

Une autre chose qui fait mal, c'est que l'armée zaïroise, avant d'abandonner la ville, a posé des mines un peu partout dans les alentours de la ville. Alors les gens qui vont à leurs champs sont mutilés. Les quelques exemples de mutilation causée par ces mines sèment la panique parmi la population. Les gens n'osent plus s'aventurer dans les sentiers de brousse pour aller chercher de la nourriture dans leurs champs. D'où un manque notable de celle-ci dans la ville. Il faut aussi nous serrer la ceinture en solidarité avec le peuple. Cela fait encore partie du métier de missionnaire.

Ce matin, j'officiais à l'eucharistie. J'avais choisi comme thème de réflexion et de méditation : fidélité au premier «oui» et réponse à l'amour que le Seigneur demande à chacun. Et, comme dernier mot, j'invitais les soeurs à aller vivre ce "oui d'amour" dans le concret des actions de notre journée. Je résumais un peu l'essentiel : ne prendre qu'une bouchée à la fois. Kamu,Kamu... petit à petit... vous disais-je autrefois. On finit par passer à travers un peu toutes les difficultés.

Pour le moment la santé est bonne. Je travaille à plein temps. Donc pas de chômage pour moi. Ça n'existe pas pour un missionnaire.

Continuez à prier pour moi. C'est le seul soutien qui redonne courage et force pour reprendre le collier chaque matin, avec la certitude que le Seigneur ne nous lâchera jamais. "Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde."

Si vous pouviez m'envoyer un peu de neige, je serais heureux. La saison sèche est plus longue que d'habitude; la chaleur et l'humidité sont écrasantes : 31 degrés celsius. Les nuits sont chaudes. Cela aussi fait partie du dessert.

À la prochaine et que Dieu vous garde!

Un missionnaire au Zaïre.


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