Africana Plus

No 37 Octobre 1999.5



Violence en héritage

Les jeunes dans le tourmente


Dans le bloc chirurgical, vingt personnes (sans compter la science et le dévouement) sont mobilisées pendant des heures pour tenter de sauver un homme malade. Mais le même jour, au même moment, un homme, en une seconde, d'une seule rafale de mitrailleuse, fauche vingt personnes, toutes en parfait état.
Chacun de nous participe à ce genre de contradiction. On a une main pour mettre ensemble et l'autre pour séparer; un pied pour aller au secours et l'autre pour écraser; et si on n'a qu'un coeur, eh bien ! il est partagé... entre la paix et la violence.

Bien sûr, toute la société n'est pas violente. Mais cette partie hargneuse engendre de la violence chez ses enfants.
La société nord-américaine se veut, idéalement, une société pacifique. Mais quelle contradiction ne lance-t-elle pas par les messages tronqués de ses audiovisuels. Dès l'âge de 13 ans, un jeune aura été témoin de 8000 meurtres et de plus de 20 000 agressions. À 18 ans, l'Américain moyen aura déjà vu 40 000 homicides au cinéma ou à la télévision.

Malgré tout, la violence est attirante pour beaucoup. On se plaît à acheter des films vidéo sous le titre d'Action. On se complaît à regarder ces films qui nous détendent. Cette industrie est florissante. On y célèbre des héros du style de Rambo. Les enfants, élevés dans cette culture de violence sont de plus en plus vulnérables parce que désensibilisés aux conséquences de celle-ci. Des centaines d'études montrent que cela risque de les pousser à commettre des actes violents. Ils baignent dans un climat dénué d'inhibitions.

Pensons aux funérailles de l'octogénaire Pearl Rushford-Lamarre, tuée par cinq jeunes adolescents de Chambly (Qc) en septembre dernier. Le curé Gilles Ménard blâmait les vidéos et les jeux Nintendo.
Ou encore, que dire de ces scènes d'horreur abondamment médiatisées par la télévision américaine où l'on nous montre des jeunes, violant et tuant sans vergogne. La tragédie de Littleton (Colorado) en avril dernier est un exemple typique. Plus de 25 victimes ont payé de leur vie cette folie meurtrière. Ce qui a enclenché une croisade de la part du président américain Bill Clinton à l'endroit du contrôle des armes à feu. Cependant, le puissant lobby des amateurs d'armes ne s'en laisse pas imposer. Une guerre de tranchée est déjà commencée. Pourtant, selon un sondage de Newsweek, 74% des personnes interrogées sont en faveur de l'enregistrement des armes à feu.

Mais ces ventes abusives d'armes à feu ne sont pas le lot exclusif de l'Amérique du Nord. C'est un problème d'amplitude mondiale. Les pays du tiers monde sont inondés par un trafic d'armes plus meurtrières les unes que les autres. C'est un commerce très florissant qui soutient grandement l'économie des pays occidentaux.
Dans le document Ecclesia in Africa, Jean-Paul II écrivait : "Ceux qui encouragent les guerres sur le continent africain par la vente d'armes sont complices d'abominables crimes contre l'humanité. Ces ventes d'armes sont un scandale car elles sèment des semences de mort." Les conflits, qui éclatent partout, que ce soit au Liberia ou au Rwanda, au Cambodge ou au Guatemala, en Inde ou au Timor oriental, sont envenimés par ces armes destructrices. Produites par des multinationales dépersonnalisées et sans-coeur, ces outils de mort sont au service de tyrans et de rebelles pour crucifier l'innocent.

Trop souvent, malheureusement, ces massacres sont perpétrés par des jeunes de tout acabit en mal d'activités ou de défis. Désabusés par le système néolibéralisme, surfant sur la mondialisation, ces jeunes s'engagent au service du plus offrant. En même temps que leurs illusions, ils ont perdu leur foi et leur idéal. Certains gouvernements les ont même encouragés dans cette oeuvre d'autodestruction. Ils ont armé des milliers d'enfants pour mener leurs combats. Les Nations unies estiment qu'actuellement environ 300 000 enfants-soldats, âgés de moins de 18 ans, sont recrutés et exploités par des forces armées dans plus de trente conflits, de l'Afrique à l'Asie en passant par l'Amérique latine, sans parler des 20 millions d'enfants déplacés en raison des guerres. Depuis 1987, 2 millions d'enfants sont morts dans des situations de conflits armés, 6 millions ont été grièvement blessés. La société leur a volé leur jeunesse, sinon leur vie.

Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, écrivait récemment ceci : "Si ses habitants bénéficiaient du même soutien que ceux du Kosovo, l'Afrique aurait une véritable chance de s'en sortir. Les enfants-soldats pourraient devenir des membres utiles à la société, si seulement ils avaient des écoles où aller et du travail qui les attend. Tant de choses peuvent être construites ou reconstruites, en très peu de temps, si les espoirs de paix sont comblés."

Le Canada a voulu contribuer à créer une coalition, mise sur pied en juin 1998, pour faire cesser l'utilisation des enfants-soldats dans le monde.

Une Conférence Panafricaine sur la démobilisation de ces enfants se tiendra bientôt à Kinshasa (RDC). Le Ministre des droits de l'Homme du Congo, M. Léonard She Okitundu, a promis d'encourager son gouvernement à démobiliser les enfants enrôlés dans l'armée. Il a déclaré être convaincu que les travaux de la Conférence renforceraient l'engagement des États, afin que "les jeunes se développent au plan spirituel, psychologique, psychique et intellectuel. Pour cela il faudra les insérer dans des milieux adaptés, comme la famille, l'école et la communauté sociale, au lieu de les insérer dans des structures réservées au monde des adultes, comme l'armée par exemple".

De telles actions pour la justice et la paix sont à encourager, qu'elles soient le fait des femmes du Sénégal, des scouts du Canada, des chefs religieux du Timor ou des évêques du Salvador. Ils ont à engager une lutte active, mais non-violente, comme le faisait Ghandi.

Oui, la violence existe chez les jeunes à travers le monde entier. Cependant, elle n'est pas d'abord le fait des jeunes mais le fait d'une société composée de monsieur et madame tout le monde. Malgré les actes horribles et spectaculaires qui font la une des grands journaux, la violence des jeunes n'est pas en hausse. Plus médiatisée, oui, elle l'est sûrement, car la société est de plus en plus intolérante face à la violence: ce qui est une bonne chose. Mais la seule augmentation de violence chez les jeunes est celle qu'ils retournent contre eux-mêmes.
N'oublions pas qu'au Québec, nous revendiquons le triste record du plus grand nombre de suicides de jeunes au monde.

Il faut donc une action concertée des enseignants et des parents afin d'inventer, avec les intervenants de leurs communautés, des projets à caractère humain et spirituel. Si la société, qui est en crise de valeurs, doit s'interroger sur ces manifestations de violence, elle ne doit surtout pas démissionner envers ses jeunes. Elle doit avoir confiance en leurs possibilités. Elle doit croire qu'ils sont en mesure de relever tous les défis qu'elle voudra bien leur présenter, si ceux-ci sont valables et constructifs. La jeune génération occidentale, nord-américaine, québécoise, est plus débrouillarde, humaine et probablement moins matérialiste que les générations précédentes. Misons sur ces pistes d'espérance. N'infantilisons pas nos jeunes avec des discours pessimistes et railleurs. Ne les condamnons pas d'avance non plus en proposant des lois répressives à leur égard. Ils n'ont pas besoin d'éteignoirs mais de poteaux indicateurs qui leur indiquent la route à suivre en ces temps orageux.

En tant que guides, nous devons nous présenter comme des artisans de paix, même et surtout dans les situations conflictuelles. La seule manière d'arrêter le mal, c'est de "désarmer" et d'être ainsi, pour nos jeunes, les témoins d'un monde meilleur.

Michel Fortin, M.Afr.


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