Africana Plus

No 47 Septembre 2001.5



11 septembre 2001
Réflexions à l'occasion d'un acte terroriste


 

L'attentat contre les deux tours jumelles du World Trade Center à New York, symbole de l'Argent et de la Puissance des États-Unis, fut une tragédie incommensurable. Le monde entier restera longtemps sous le choc de cette journée du 11 septembre 2001. Des milliers d'innocentes victimes ont été sacrifiées. Pourquoi? Pourquoi donc?

Comment ne pas ressentir de la tristesse et de la désolation devant tant de souffrances ? Comment ne pas compatir avec toutes ces familles brisées à jamais ? Ne sont-elles pas les premières victimes de la politique isolationniste de leur gouvernement ? Il est certes important qu'elles trouvent un soutien dans la prière et l'entraide des membres de leurs famille et de leurs proches. Des réflexions de tout genre vont s'imposer dans les jours, voir les semaines et les mois à venir et essayer à répondre à la grande interrogation: Pourquoi ? En voici une.

Le capitalisme pur et dur et l'impérialisme pratiqués par nos pays occidentaux, et de façon systématique par les États Unis, pourraient être mis en cause comme un des éléments déclencheurs de tels actes de folie. La politique isolationniste des USA n'a fait qu'exacerber les haines de par le monde. Les États Unis ont voulu faire bande à part depuis les dernières années : on pense au Traité ABM(Antiballistic Missile) sur le contrôle des armes (1972), ou au traité de Kyoto sur le réchauffement de la planète ou l'effet de serre (1997), tout est vu d'abord et avant tout en fonction de l'intérêt américain. Même l'appui inconditionnel à Israël ne fait qu'attiser la haine des pays arabes. Pourtant, on n'impose pas impunément des politiques cruelles et une vision du monde sans âme à des peuples qui en subissent de graves conséquences, sans créer une réaction de haine et de désespoir. Ces actes barbares sont inexcusables, mais on peut s'attendre à ce que des réactions de cette violence se produisent quand des millions de personnes sont victimes d'une mondialisation qui ne profite qu'aux bien nantis. Il y a, bien sûr, les manifestations de groupes conscientisés ou anarchistes qui se pointent dans les grandes rencontres de l'OMC, comme à Seattle, à Québec ou à Rome. Mais quelle est la réaction du commun des mortels devant les situations d'injustice perpétrées par nos gouvernements. Qu'en est-il de notre partage effectif dans l'aide apportée aux pays en voie de développement ?

Il semble bien que derrière la réalité des peuples soumis à l'hégémonie des gouvernants occidentaux, des acteurs influents issus du reste du monde exacerbent la souffrance de leurs peuples en leur faisant croire que les méchants sont de l'autre côté de la rive. Pourtant, ces personnages puissants et riches, à la tête de pays violemment opposés aux USA, et qui se cachent derrière les misères des leurs ne sont-ils pas eux aussi des complices de la mondialisation. Où prennent-ils les moyens de mettre en œuvre des machines de guerre aussi puissante et meurtrière comme nous l'avons constaté le 11 septembre ? N'est-ce pas là l'action concertée d'une poignée de personnes qui ont une soif de pouvoir et de contrôle inassouvi ?

Bien sûr, nous ne pouvons pas faire la lecture des événements des derniers jours sans regarder de près la part de responsabilité qui est aussi la nôtre. Le Canada, tout en étant bien coté dans ses relations internationales, n'est certes pas l'un des pays les plus généreux avec son 0,27% de son Produit National Brut (PNB). En janvier 2000, les leaders des Églises au Canada ont dénoncé la pauvreté dans le monde en lançant un appel au Premier Ministre Jean Chrétien : "Nous sommes troublés d'apprendre que notre aide officielle au développement à l'étranger (AOD) a décliné de plus de 40% depuis 1991, pour se limiter 0,27% du PNB du Canada, ce qui est bien en dessous de l'objectif de 0,7% qui s'était fixé le gouvernement. Nous appuierions le Conseil canadien de coopération internationale s'il recommandait que le Canada s'établisse un échéancier d'Aide publique au développement à l'étranger allant jusqu'à un minimum de 0,35% du PNB d'ici 2005 ou 2006. Nous croyons que notre aide au développement à l'étranger devrait s'orienter plus efficacement vers la diminution de la pauvreté. Or, la promotion des intérêts commerciaux du Canada entre en conflit avec cet objectif, si bien que le gouvernement devrait, à notre avis, augmenter délibérément un engagement envers une aide aux pays pauvres qui soit libre de tout lien, si l'on veut que notre aide produise le maximum d'impact sur la pauvreté."

Si nous examinions d'un peu plus près l'impact d'une politique capitaliste drainant toutes les ressources de notre planète au profit de régimes impérialistes, nous comprendrions peut-être davantage les frustrations que génèrent ces résultats auprès des populations concernées. Dans un article précédent, cet exercice a été fait afin de rendre plus accessible notre compréhension du partage des richesses dans le monde. On en trouvera un extrait en annexe de cet article.*

Le World Trade Center, symbole de la volonté de profit scandaleuse préconisée par les pays occidentaux dans leurs pratiques commerciales à sens unique, a été lâchement attaqué par des terroristes visant à humilier le Goliath monétaire, chef de file du monde moderne. Leur geste certes est condamnable.

Le discours du Président Bush, suite à cette agression, empreint de paroles vengeresse comme représailles, revanche, punition… ne fait que reprendre la Loi du Talion : œil pour œil, dent pour dent. Sauf que… l'agression de ce 11 septembre n'était, possiblement, qu'un acte de vengeance et de répression de la part d'illuminés issus de peuples humiliés, de peuples désespérés; de peuples écrasés par l'oppression économique des peuples occidentaux. On entre ici dans le cercle vicieux de la violence.

Si, à chaque crise, nous ne cherchons qu’à revendiquer nos droits et à mettre sous cape nos devoirs, si nous préférons toujours noircir l’adversaire sans essayer de comprendre son point de vue, si nous nous laissons aller à une agressivité incontrôlée: tuons-les tous, ça va régler le problème, ou, à l’inverse, si nous sombrons dans l’indifférence crasse: fichez-moi la paix, qui a été l'attitude des États Unis lors de la dernière conférence sur le Racisme à Durban en Afrique du Sud, comment pouvons nous espérer résoudre des conflits? Un minimum de bonne volonté et un désir réel de s’entendre est nécessaire, et le désir d’exclure toute violence de nos négociations s’avère primordial.

C’est tellement facile de nous défouler, en ouvrant toutes grandes les vannes qui bloquent nos refus, nos frustrations et nos révoltes. C’est tellement facile de traduire l’angoisse qui nous ronge, par des cris et des gestes violents. Nous disons que cela nous soulage et que cela nous fait du bien. C’est vrai que, passé l’orage, l’air se fait plus léger. Mais les dégâts sont là, dégâts qu’il nous faut bien réparer quand ils sont réparables. Il y a des gestes de guerre que nous posons et que nous ne pouvons plus défaire. La véritable force demeurera toujours celle que nous exerçons sur nous-mêmes.

Oui, il y a une véritable oppression économique de la part de l'occident. Pourtant, que de fois n'a-t-on pas souhaité, de par le monde, un partenariat économique plus équitable ? Que de fois n'a-t-on pas demandé d'éradiquer la dette des pays du Tiers Monde ? Que de fois n'a-t-on pas réclamé la suppression des barrières économiques pour un libre échange et l'arrêt des subventions nationales qui font baisser les prix de production dans l'agriculture commerciale au détriment des petits producteurs issus de pays pauvres ? Que de fois n'a-t-on pas imploré une aide effective des pays riches qui se manifesterait, non pas par des gestes de Charité hautement médiatisés, mais par des prix justes et équitables pour les matières premières qui sont arrachées et presque volées aux pays pauvres?

Peut-on ensuite s'étonner, de gestes aussi violents et désespérés que celui du World Trade Center ? Gestes condamnables, sûrement et sans équivoque. Mais après, quoi ? Qu'on reparte en croisade pour ramener un simulacre de justice, et inévitablement le cercle de la violence reprendra. Bien sûr, la justice, la vraie, est souhaitable. Il n'y a pas de paix possible sans elle. Mais il ne s'agit pas d'humilier encore davantage des peuples déjà écrasés. Cela ne ferait que donner plus de légitimité à leurs supposés défenseurs qui tirent les ficelles du pouvoir dans l'ombre de ces populations démunies. Partir en guerre contre eux et leur arme favorite qu'est le terrorisme, c'est réagir au lieu d'agir.

Les agissements les plus importants, pour faire cesser une telle guerre, sont ceux qui vont dans le sens du partage et de la solidarité. Sinon, cette guerre n'aura pas de fin. Le chemin à suivre semble plutôt être celui du pardon et de la réconciliation, en proposant une mondialisation plus humaine et fraternelle. La justice et l'équité doivent d'abord venir du puissant qui relève le pauvre et le petit; du plus fort qui tend la main au plus faible.

Mais alors quoi faire pour rétablir la paix autour de nous? Il faut avoir de la force et du courage. À la violence aveugle, seule la force réfléchie est capable de répondre. C’est l’inverse de la démission. Gandhi était non-violent, mais quelle force n’émanait-elle pas de lui? Il faut avoir le courage de changer notre façon de concevoir nos échanges commerciaux, et de partager équitablement les richesses de la terre.

La violence, c’est la colère, c’est la haine, c’est l’entreprise mal inspirée, c’est l’injustice en marche, c’est la dévastation en mouvement. La violence est stupide et redoutable comme le plomb d’une balle. Elle ne règle jamais les problèmes de pauvreté dans le monde. Au contraire, elle les accentue. Qui seront les premiers à souffrir d'une escalade de la violence ? Les petits, les affamés, les plus faibles de nos sociétés. Et à qui profite la guerre habituellement ? Aux riches, aux puissants, aux bien nantis de notre planète, tant ceux qui viennent du Sud que ceux des pays occidentaux. La force, par contre, a toutes les dignités de l’esprit et du cœur. La force, elle est dans une pensée juste; la force, elle est dans une volonté droite; la force, elle est dans l’amour qui va jusqu'au don de soi. La violence des hommes a dressé la croix du Christ; mais la force de celui-ci a changé le sens de cette croix quand il a dit: Ma vie, on ne me la prend pas, je la donne. La croix, c’est l’endroit où, pour toujours, la force a répondu à la violence afin de rétablir une paix compromise par la folie ou le péché des humains.

Michel Fortin, M.Afr.

* Si notre monde était un village de mille habitants, il y aurait au village: 564 Asiatiques, 210 Européens, 86 Africains, 80 Sud Américains et 60 Nord Américains. En nombre, la population serait nettement en faveur du tiers-monde: 730 contre 270 seulement pour l’Occident. De là la conclusion: il y a surpopulation dans le tiers monde, et c’est pour cela que tant de gens meurent de faim.

Pourtant, rien n’est plus faux. Il suffit, pour s’en rendre compte, de comparer la population et le territoire dont elle dispose. Les données sont étonnantes: l’Europe, par exemple, est plus densément peuplé que le tiers-monde. Et pourtant, il vit dans l’abondance.

La surpopulation est un effet d’illusion masquant les vraies données du problème qui sont économiques et sociales. Ce n’est pas parce qu’on est moins nombreux qu’on mange nécessairement plus. Si l’abondance existe dans une Europe surpeuplée, la disette sévit dans une Afrique clairsemée.

Le déséquilibre qui existe entre une population et les ressources disponibles provient plutôt du type de production privilégié et de la distribution des richesses à l’intérieur de la société.

Toujours dans notre village de mille habitants, 60 personnes disposeraient de la moitié des revenus. Il y en aurait 500 qui souffriraient de la faim, 600 qui habiteraient dans des bidonvilles et 700 qui seraient analphabètes.

Inégalité de la répartition des richesses, bien sûr, mais aussi dépendance économique des pauvres par rapport aux possédants. Les ouvriers du tiers-monde, par exemple, produisent fréquemment des denrées alimentaires pour les pays industriels alors qu’eux-mêmes sont sous-alimentés. Ils ont délaissé les cultures vivrières pour favoriser la monoculture imposée par l’Occident (coton, café, arachides, sisal...).

L’intervention des pays occidentaux dans les pays du tiers monde a donc provoqué ce à quoi elle prétendait remédier: le sous-développement. Pauvreté, famines, épidémies font désormais partie de la vie de tous les jours dans de nombreux pays du tiers-monde.

Il faudrait donc en revenir à des projets de taille humaine, tenant compte des vrais besoins des populations locales. Autrefois, malgré les techniques précaires, très peu de personnes souffraient de sous-alimentation chronique.

Les organismes de développement sont de plus en plus conscients que les multinationales siphonnent les richesses des pays pauvres. C’est pourquoi, aujourd’hui, les projets de ces organismes ne sont réalisés qu’à la suite de sondages et de consultations faits auprès des populations concernées pour bien identifier leurs besoins réels.

(Pour un monde meilleur, idem, Éditions Novalis, p.13-14)


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