Africana Plus  

No 84 Mars 2009.2



Ce que le Pape Benoît XVI attend de l'Église d'Afrique


Le constat que le Saint Père fait de la situation actuelle de l’Afrique est plein d'espérance. S'adressant aux prêtres du diocèse de Rome, Benoît XVI reconnaît que « l'Afrique est la grande espérance de l'Église. » Il renouvelle ainsi toutes les promesses contenues dans le premier synode pour l'Afrique, un « Synode de résurrection et d'espérance. » Que reste-t-il des promesses de ce synode ? Pour Benoît XVI, « L'espérance ne trompe pas, parce que l'amour de Dieu a été versé dans nos cœurs » (Rom 5, 5).

L'Église africaine a en effet connu une nette croissance depuis le dernier Synode pour l'Afrique. Le nombre de catholiques, de prêtres et de personnes consacrées a considérablement augmenté ; les liturgies africaines et les communautés ecclésiales sont bien vivantes , la création et la restructuration des diocèses et territoires ecclésiastiques est avancée; le rôle de l'Église dans la promotion du développement du continent devient incontournable, notamment dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la lutte pour la promotion des États de droit sur le continent.

Ainsi, au-delà de ses faiblesses inévitables, l'Église continue à jouir d'une grande crédibilité et pour plusieurs pays, reste l'unique réalité qui fonctionne encore bien et permet aux populations de continuer à vivre et à espérer en des lendemains meilleurs. Ajoutée à cela l'émergence d'une société civile chrétienne active, animée d'un désir ardent de paix et engagée dans la lutte pour la promotion de la femme et contre la corruption.

Cette présentation semble donc rompre d'avec la vieille habitude où « l'on se souvient [de l'Afrique] que quand il faut étaler ses misères ou l'exploiter. » C'est cette Afrique là qu'il souhaite vivement que le monde entier découvre et soutienne pour la sortir de sa marginalisation. S'adressant par exemple au corps diplomatique, Benoît XVI va sans détour « N'oublions pas l'Afrique »

C'est à la suite de cet appel qu'il peut évoquer les « nombreuses situations de guerre et de tension » que connaît le continent : la Corne de l'Afrique, l'Ouganda, la Région des Grands-Lacs, la Côte d'Ivoire ou le Darfour.

Réconciliation, justice et paix : le cas des Grands-Lacs

Le thème de la réconciliation, de la justice et de la paix est dominant dans le discours de Benoît XVI, même si par ailleurs s'y joignent les thèmes de l'engagement politique des chrétiens, de la formation des messagers de la Bonne Nouvelle ou de la nature même de la Bonne Nouvelle à annoncer.

Les trois concepts de réconciliation, je justice et de paix sont étroitement liés dans le discours du Saint Père. La réconciliation découle en effet d'une justice fondée sur la vérité, lesquelles garantissent réellement une paix profonde. Cette vérité, le pape invite les Africains à la trouver dans la foi chrétienne qu'ils partagent, majoritairement dans certains pays, dans un effort accru d'une foi « vécue avec cohérence et en plénitude. » Ainsi réconciliées entre elles, les populations de ce contient pourront « édifier ensemble un avenir meilleur, en redécouvrant la nouveauté de l'amour, qui est la seule force pouvant conduire à la perfection personnelle et sociale, et orienter l'histoire vers le bien. »

Mais Benoît XVI ne s'attache pas uniquement au cœur de l'homme qui doit accueillir la grâce de Dieu pour instaurer une paix véritable. Les chrétiens, estime le Saint Père, doivent certes s'appuyer sur des modèles tels Anuarite, Bakanja ou Bakhita et savoir reconnaître en eux « des signes prophétiques d'une humanité renouvelée par le Christ, humanité libérée de la rancune et de la peur », mais il est aussi conscient des efforts que doivent déployer les chrétiens d'Afrique pour édifier des structures de réconciliation, opposées aux structures du péché. Il encourage ainsi les évêques Burundais à ne pas décevoir les attentes placées dans la mise en place d'une Commission Vérité et Réconciliation (CVR), estimant qu' « il est nécessaire que tous se préparent à ce travail de purification. »

L'Église au Burundi est invitée à prendre une part active à ce processus, « dans une recherche patiente et obstinée de la vérité » grâce à laquelle « il sera possible à chacun de contribuer à guérir les blessures de la guerre avec le baume du pardon, qui n'exclut pas la justice, et d'engager le pays sur la voie de la paix et du développement intégral. » Ici, le pape se veut plus précis. Le développement ne sera vraiment intégral que dans la mesure où il pourra « permettre aux catégories les plus vulnérables et les plus exposées à la violence, aux actes de banditisme, aux maladies (les enfants, les femmes et les réfugiés notamment) de profiter pleinement des fruits du développement. » La réalisation d'un tel dessein exige alors des autorités un juste partage des richesses du pays qui tienne compte de certaines valeurs universelles « comme le sens du bien commun, l'accueil fraternel de l'étranger, le respect de la dignité de toute vie humaine... » C'est le sens même de l'engagement politique du Chrétien qui est alors renouvelé.

La formation des messagers de la Bonne Nouvelle

Le texte des Lineamenta pour la préparation du 2ième Synode pour l'Afrique relève que c'est davantage par le témoignage de vie que les personnes consacrées seront dans le monde « signe » et « instrument » du Règne à venir : « Par la simplicité de leur style de vie chaste, signe visible de leur donation totale au Christ et à son Église, par l'esprit évangélique de détachement et d'honnêteté dans l'usage des biens de ce monde et d'obéissance à leur supérieur, elles rendront témoignage « aux merveilles que Dieu opère dans l'humanité fragile des personnes qu'il appelle à le suivre de manière toute spéciale. »

Une Bonne Nouvelle inculturée

Pour le Pape Benoît XVI, le travail d'inculturation de la foi est une nécessité « pour que l'Église soit un signe toujours plus compréhensible de ce qu'elle est et qu'elle soit toujours adaptée à sa mission. » Pour le Saint Père, « Ce processus, si important pour l'annonce de l'Évangile à toutes les cultures, ne doit pas compromettre la spécificité et l'intégrité de la foi, mais il doit aider les chrétiens à mieux comprendre et à mieux vivre le message évangélique dans leur propre culture, et à savoir renoncer aux pratiques en contradiction avec les engagements baptismaux » . Parmi les problèmes qui se posent avec acuité, l'on retrouve l'engagement dans le sacrement du mariage, « qui est des plus importants, car le mariage est, pour le chrétien, une voie de sainteté. »

Une recherche en direction de la culture traditionnelle, plus particulièrement de la religion africaine traditionnelle, reste donc capitale pour le saint Père. En même temps, pointe l'urgence de trouver des réponses chrétiennes aux problèmes qui découlent des défis de la situation actuelle de l'Afrique. L'inculturation recherche aussi désormais une redécouverte, à la lumière de l'évangile, des ressources traditionnelles de purification, de réconciliation et de justice; la proposition d'une espérance dans un contexte de désespoir – proposition qui ne peut être pertinente que dans la mesure où elle se fonde sur la foi solide en un Dieu qui est Amour.

Il s'agit de proposer un message qui console, qu' procure « la joie »-- autre thème important —à des gens affligés par des souffrances de toutes sortes et dont le pape se fait « l'écho des cris de désespoir. » C'est sans doute ce que Meinrad Hebga appelle des « semeurs d'enthousiasme » et que le pape reconnaît lorsqu'il souligne « la joie exubérante avec laquelle les peuples d'Afrique rendent grâce à Dieu dans les célébrations eucharistiques. » N'est-ce pas là le plus dur à faire maintenant, témoigner d'un Dieu amour et bon dans une situation de souffrance et de misère ? Témoigner d'un Dieu qui ne stigmatise pas dans des situations où la maladie (sida) et les autres conséquences des situations de fait, par exemple la réalité des orphelins de guerre, des enfants abandonnés ou nés d'un viol et donc séparés des parents et qui ne bénéficient plus du cadre familial que nous prêchons et qu'ils ne connaissent pas, sans diluer le message de notre foi, la qualité du mariage entre autres ? Comment condamner l'avortement sans stigmatiser l'avorteur ? Rendre ferme notre enseignement tout en maintenant l'Église dans sa situation de Mère de tout le monde qui ne veut pas que l'un de ses enfants se perde ?

Quels enseignements tirer de cette étude ?

On y découvre certainement des réponses précises, mais non exhaustives, de Benoît XVI aux différentes questions posées par les Lineamenta préparant le prochain Synode pour l'Afrique. Celles-ci peuvent servir de point de départ à notre propre réflexion, d'outil de discernement efficace pour préparer cet évènement de manière sereine et dans la communion ecclésiale la plus parfaite possible. On y découvre également un grand sens d'ouverture, un pape qui désire entrer en dialogue avec nous et qui nous demande de ne pas faire l'économie de la pensée et de la prière. Dans un contexte de perte et de recherche de sens, peut-être n'y avons-nous pas trop insisté, le pape nous propose des modèles, ces trésors propres à notre Église que nous ne contemplons pas assez, les saints et bienheureux d'Afrique, qui ont connu nos souffrances et ont su, à la suite du Christ, nous tracer un chemin d'espérance. Bakhita, l'Africaine du Darfour, devient ainsi l'icône d'une encyclique sur l'espérance adressée à l'Église universelle.

 

Jean Luc Enyegue, SJ

Institut Théologique de la Compagnie de Jésus

Abidjan / Côte d'Ivoire


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