Africana Plus

No 2 Mai 1994.



Le Soudan

Entre la guerre et la famine


Le Soudan retourne en enfer. En effet, comme à chaque année durant la saison sèche (de novembre à avril), Khartoum a repris son offensive militaire contre le Sud. Les bombardiers Antonov et les avions de chasse Migs vont augmenter le nombre de morts tant chez les militaires que chez les civils. Peut-être n'y en avait-il pas déjà assez? En dix ans de guerre civile, 1 300 000 Soudanais du Sud ont perdu la vie. Pourquoi une telle hécatombe?

Le Soudan est fait de deux mondes différents, que la nature et l'histoire ont façonnés tels, et qui n'étaient peut-être pas faits pour vivre ensemble... Au nord, une population de 19 millions d'habitants arabisée et islamisée; au sud, une population de 6 millions d'Africains animiste ou chrétienne. Langue, coutume, mode de vie, tout diffère. La colonisation n'a pas atténué ces différences; les lendemains de l'indépendance les ont transformées en motifs d'opposition et en guerre cruelle: le Sud se rebelle contre une oppression politique, raciale, linguistique, religieuse, économique. Un véritable processus d'extermination y est engagé.

La guerre civile du Soudan est née avec l'indépendance du pays. Déjà, en 1955, un premier conflit éclate qui durera jusqu'en 1972. Les hostilités sont alors suspendues quand le gouvernement accorde au Sud une certaine autonomie administrative. Mais en septembre 1983, la guerre reprend lorsque le président Nimeiri impose la loi islamique à l'ensemble du pays. Les gens du Sud, refusant de devenir des citoyens de seconde zone, se rebellent sous la direction de John Garang et de son Armée populaire de libération du Soudan (APLS).

Fuyant les horreurs de la guerre civile, des centaines de milliers de gens du Sud cherchent refuge dans les villes ou dans les pays voisins(Uganda, Kenya, Éthiopie). La haine tribale et la famine deviennent des armes de guerre, les groupes ethniques étant systématiquement dressés les uns contre les autres. En 1988, une terrible famine naturelle (sécheresse, inondations, criquets) vient s'ajouter aux cruautés de la guerre, tandis que le gouvernement empêche l'arrivée des secours d'urgence. En un an, 250 000 personnes meurent dans l'indifférence totale. En 1989, l'arrivée au pouvoir du Front national islamique, mené par le général Omar El Bashir, n'arrange rien, bien au contraire. Le gouvernement de Khartoum développe le système des milices gouvernementales, les Forces de défenses populaires, chargée de combattre la rébellion et entreprend des opérations d'assainissement qui déplacent massivement des populations civiles des zones sensibles. Plus de 500 000 réfugiés du Sud installés dans les banlieues de Khartoum sont transportés en plein désert dans le dénuement le plus complet. Selon Survival Internationnal, il s'agit d'une politique délibérée de purification ethnique.

Selon le porte parole du Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 100 000 habitants du Sud ont fui depuis juillet 1993 pour échapper aux combats, la moitié vers le nord, l'autre moitié vers la frontière ougandaise, tandis que 800 000 personnes sont frappées par la famine. Le Rapport du comité des États-Unis pour les réfugiés (22 octobre 1993) estime qu'au cours des derniers dix-huit mois 300 000 personnes ont péri dans le Sud du Soudan à cause de la violence de la guerre, mais aussi de la famine, des maladies et du déplacement forcé des populations. Actuellement, la guerre a repris de plus belle dans les régions des Monts Nuba, dans les provinces Équatoria de l'est et de l'ouest et dans la province de Bhar El Ghazal.

Les organisations humanitaires et les Églises toujours présentes sur place, ont protesté les premières contre cette nouvelle offensive et ont accusé le régime du général El Bashir de s'attaquer aux populations civiles. On parle de 3.7 millions de vies humaines, déjà en péril à cause de la sécheresse et d'un état de famine, directement menacées par la guerre. Au Conseil de Sécurité, on parle déjà de condamner les actes criminels du gouvernement du Front national islamique et de lui imposer des sanctions, y compris un embargo sur les armes et les produits pétroliers. Les populations du Sud Soudan, leurs Organismes non gouvernementaux (ONG) et leurs Églises, réunis dans le Nouveau conseil des Églises du Soudan (NCES), se sont souvent plaints du silence de la communauté internationale à l'endroit de leur détresse. Voici ce que dit Mgr Paride Taban, évêque catholique de Torit:

Envoyez des représentants de l'ONU dans ces régions, au moins comme témoins, pour protéger les vies des civils innocents qui n'ont pas d'armes dans leurs mains, les innocents qui sont tués par le gouvernement et maltraités par l'APLS... Il n'y a jamais eu de guerre de religion dans l'histoire de notre pays. Il y a eu des guerres pour des esclaves, pour des troupeaux, pour la possession de la terre... mais jamais pour la religion... La guerre de religion a été déclarée par le gouvernement du Front national islamique. Mais il s'agit d'une guerre politique... Si j'étais tué lors de cette guerre du Soudan, je voudrais être désigné comme victime, non d'une guerre de religion, mais au service du Peuple de Dieu, victime de l'injustice et de la violation des Droits de l'Homme, parce que je sers de la même façon chrétiens et musulmans...

Deux visites d'importance ont aidé à médiatiser la situation soudanaise: celle du Pape en février 1993 et celle du Primat de l'Église Anglicane, Mgr Carey à la fin de décembre.

En août dernier, une mission canadienne mixte (Églises et ONG) s'est rendue au Sud Soudan afin d'y évaluer la situation des droits humains et d'identifier des pistes pour mettre fin à cette guerre. Le rapport produit est devenu une source de référence pour les ONG et les Églises canadiennes dans leurs interventions auprès du gouvernement, des Nations Unies et des autres organismes de développement.

Ici, au Canada, il existe un réseau d'ONG et d'Églises qui militent afin de sensibiliser la population canadienne à la tragédie du Soudan et d'appuyer le processus de paix. Parmi ce réseau, nous comptons: à Toronto, la Coalition inter-Églises pour l'Afrique; à Montréal, le Groupe d'action pour le Soudan; à Ottawa, la Table de concertation pour les politiques envers la Corne d'Afrique.

Michel Fortin, M. Afr.


Retour au menu principal