Africana Plus

No 34 février 1999.2



Guerres de religion

Seule la paix est sainte


"Monsieur le Premier ministre, en ce début du nouvel an, je viens vous demander au nom de mes confrères évêques du Canada et en solidarité avec nos frères de l'épiscopat indien, d'intervenir dans les meilleurs délais auprès du gouvernement de l'Inde, à la suite des multiples attaques subies par les communautés chrétiennes de ce pays au cours de 1998. Les événements violents survenus lors de la fête de Noël dans le district de Dang, dans l'état du Gujarat, témoignent d'une recrudescence très inquiétante d'actes violents à l'endroit des communautés chrétiennes minoritaires..." C'est en ces mots que le Cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque de Montréal, s'adressait récemment à Monsieur Jean Chrétien, Premier Ministre du Canada.

De plus en plus, les hommes de religions sont en guerre. Certains affublent même ces guerres du nom de "saintes". Que se passe-t-il ? Comment les guerres de religions sont-elles encore possibles aujourd'hui ? Les religions font de plus en plus la une de l'actualité, alors qu'on avait prédit leur déclin. Pour le meilleur, lorsqu'il s'agit du dialogue interreligieux ou d'initiatives pour la paix ou le progrès social, ou pour le pire, lorsqu'elles inspirent les fanatismes de tous bords. C'est un fait, en cette fin de siècle, les religions sont au coeur de nos préoccupations, mondiales comme personnelles.

Le 4 décembre dernier, 23 millions de chrétiens en Inde ont protesté contre la violence croissante envers les minorités religieuses : ils ont refusé de travailler, ont porté des signes de deuil, ils ont prié et défilé dans les rues. À la tête des manifestations, Mgr Alan De Lastic, archevêque de Delhi a rappelé l'escalade des violences subies par les chrétiens au cours des deux dernières années, et en a attribué la responsabilité à l'immobilisme du gouvernement. Des citoyens indiens de toutes religions ont exprimé leur solidarité envers les chrétiens. Le Premier Ministre de l'Inde, M. Atal Behari Vajpayee, s'est, quant à lui, dissocié de ces manifestations de violence en déclarant : "En Inde, tout citoyen a le droit de pratiquer sa propre foi, tant que cela ne va pas contre le droit d'une autre de faire de même."

Quelques semaines auparavant, à Djakarta, capitale de l'Indonésie, d'autres violences à motif religieux ont fait au moins six morts et six églises ont été incendiées ou endommagées par des manifestants se réclamant de l'islam, armés de bâtons, de coutelas et de sagaies. Ces violences auraient éclaté parce que les fidèles d'une mosquée voisine voulaient faire fermer un établissement appartenant à des catholiques originaires d'Ambon, la capitale de l'archipel des Moluques où, selon eux, des jeux d'argent étaient organisés.

Au Yémen, le 14 janvier dernier, seize occidentaux sont enlevés. Un des ravisseurs s'en prend à l'Occident chrétien. "La guerre du XXI ième siècle sera la guerre entre l'islam et les Croisés" dit-il. Reconnaissant fièrement son appartenance à l'Armée islamique d'Aden et d'Abyane, il affirme que celle-ci a pour objectif de mener la djihad contre les chrétiens : "Je suis un combattant de l'islam. La situation des musulmans se dégrade, en particulier en Irak, et au Soudan. Notre devoir est de mener la djihad, en partant du Yémen et en progressant vers la Mecque et la Péninsule arabique."

Abdelfattah Amor, juriste tunisien et membre du Comité des droits de l'homme de l'ONU, a longuement enquêté sur les entraves à la liberté de culte à travers le monde. Voici ce qu'il disait récemment dans un interview accordé au magazine Jeune Afrique (14-12-98) : "Pour des raisons politiques, voire par simple ignorance, certains musulmans font dire à l'islam les pires insanités! Mais, vous savez, aucun pays n'a l'apanage de l'intolérance. Les pays qui se réclament de l'islam connaissent autant de problèmes d'intolérance religieuse que ceux qui se réclament du christianisme, du judaïsme, de l'hindouisme eu du bouddhisme... Il n'y a malheureusement pas de paradis sur terre pour les droits de l'homme. Les violations des libertés religieuses ne sont l'apanage d'aucun État, d'aucune religion."

Il y a beaucoup d'autres exemples de minorités religieuses ou ethniques persécutées. Le problème des aborigènes en Australie, par exemple, ou celui des Indiens d'Amérique qui, après avoir été dépossédés de leurs terres, souffrent de ce que leur spiritualité ne soit pas reconnue. Et comment passer sous silence cette guerre entre protestants et catholiques en Irlande du Nord ?

En Afrique, par contre, les véritables problèmes ne sont pas d'abord religieux. L'Afrique possède une grande tradition de tolérance. Dans certains pays, voire certaines tribus, les croyances les plus opposées coexistent de manière pacifique. Dans une famille sénégalaise, par exemple, le père est animiste, la mère et l'un des fils sont musulmans, et l'autre fils est protestant. Cependant, ce continent n'est pas totalement exempt de confrontation entre religions. Les uns cherchent à islamiser, les autres à christianiser. Cela débouche parfois sur des conflits armés. Pensons aux moines de Tibhirine ou aux confrères Pères Blancs de Tizi Ouzou assassinés en Algérie parce qu'ils étaient chrétiens.

Personne ne peut jeter la première pierre. Les guerres de religion sont là pour rester car il y aura toujours des imbéciles, "croyant" avoir le monopole de la vérité. Un conte du jésuite indien, Anthony De Mello, parle mieux que bien des paroles :
"Le diable un jour partit en promenade avec un ami. Ils virent devant eux un homme se pencher et ramasser quelque chose sur la route. Qu'est-ce que cet homme a trouvé ? demanda l'ami. Une parcelle de vérité, répondit le diable. Ça ne vous dérange pas, demanda encore l'ami. Oh non! repartit le diable : je lui permettrai d'en faire une croyance religieuse.

De la certitude qu'on a de posséder le monopole de la vérité et d'avoir seul raison naît l'intolérance. Fruit de l'orgueil et de la bêtise, lesquels d'ailleurs sont jumeaux, l'intolérance a semé les conflits et les guerres tout au long de l'histoire.

L'intolérence peut même affecter des hommes et des femmes qui s'enorgueillissent d'être des gens de dialogue. Certains partent de leur conception de la vérité pour proposer des rencontres faites à leur mesure, sombrant dans le piège du bon droit. Si l'on tient compte des peurs et des insécurités que certains absolutismes religieux ont contribué à créer, on craindra d'imposer telle ou telle approche comme la seule valable. Il y a beaucoup de croyants d'autres religions qui se méfient, parfois avec raison, des initiatives de rapprochement. Prenez garde au nouveau piège des vieux trappeurs, disait un musulman indien à propos du dialogue islamo-chrétien. La chrétienté officielle a cependant renoncé à gagner le monde à sa foi. "En bien des pays, le dialogue islamo-chrétien a permis une meilleure connaissance réciproque et parfois des réalisations communes", a dit Jean-Paul II, le 7 septembre 1989, dans son Appel à tous les musulmans du Liban.

Le père Christian Delorme, chargé des relations avec l'islam au diocèse de Lyon en France, disait ceci : "L'Église catholique a effectué un tournant au moment de Vatican II, avec le décret Nostra Aetate, qui reconnaît que les grandes traditions religieuses étaient porteuses d'une part de la révélation de Dieu, de la manifestation de Dieu dans le monde, qu'il n'était pas pensable que Dieu ait privé des peuples entiers, des cultures entières de sa révélation. Pour ce qui est des Églises issues de la Réforme, le tournant a été pris à peu près à la même époque, et c'est aujourd'hui une des grandes préoccupations du Conseil Oecuménique des Églises." C'est aussi ce qu'affirme Thomas Ryan, pauliste et directeur-fondateur du Centre Unitas (Oecuménique) de Montréal qui parle des apports de certaines grandes traditions religieuses :
"On doit à l'islam, dit-il, l'importance accordée à la grandeur de Dieu et la priorité qu'il accorde à Dieu en toute chose. La soumission apporte paix et intégrité dans notre vie actuelle et future...
On doit au bouddhisme les enseignements sur le détachement, l'encouragement à penser aux autres, le rappel du caractère insatisfaisant, éphémère et, en fin de compte, vide de toute chose, son remarquable code d'éthique et son sens de la responsabilité individuelle et la discipline spirituelle de la méditation pour la purification de l'esprit, sa compassion pour tous les êtres vivants et son engagement envers la non-violence...
On doit à l'hindouisme la riche tradition de sagesse spirituelle, l'appel à faire le bien, la science du Yoga et des ascètes mystiques...
On doit au christianisme la proximité, la confiance et l'intimité avec le divin qu'apporte l'incarnation du Christ, l'amour d'un Sauveur qui s'est fait homme et a donné librement sa vie pour l'humanité..."

Pour n'importe quelle religion, la prétention à une supériorité morale doit être envisagée avec circonspection. On doit faire preuve d'humilité. Chaque regroupement de croyants a sa part de saints et de pécheurs. Personne ne se trouve plus près de Dieu ou de la perfection humaine en raison de sa simple appartenance à un groupe qui se sent béni ou élu. La façon de proclamer sa foi est beaucoup moins importante que ses actes.

Cette reconnaissance réciproque amène à élargir les horizons culturels et religieux d'un chacun. D'ailleurs, le pape Jean-Paul II conviait, le 27 octobre 1986, les grands leaders religieux de la planète à prier pour la paix, chacun selon sa tradition. Épaulant le travail du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, il posait là un geste véritablement prophétique dont on n'a pas fini de mesurer les conséquences. Aux religions toujours en tentation de pouvoir, il proposait de mettre au service de l'homme contemporain un nouvel art de vivre : celui de la concorde dans le respect des différences, celui de la tolérance dans la variété des convictions, celui de la paix dans la diversité des cultures. Le dialogue des religions est perçu aujourd'hui comme une composante nécessaire de la paix.

Aucune guerre n'est sainte; seule la paix est sainte. Telle fut le leitmotiv de la Déclaration finale de Bucarest en septembre dernier. Cette rencontre "Hommes et religions", organisée par la Communauté romaine de Sant'Egidio, a permis à plusieurs centaines de délégués de dix confessions différentes et représentant 34 pays, de lancer un appel à la paix. Parler de guerre entre les religions est une absurdité et un blasphème devant Dieu... Le nom de Dieu n'est jamais synonyme de guerre et de haine. Oui, la paix est le vrai nom de Dieu.

Michel Fortin, M.Afr.


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