Africana Plus

No 16 Mai 1996.3


L'année internationale de l'élimination de la pauvreté, incluant...
..La pauvreté spirituelle


Nous avons tranché la gorge de sept moines, affirme un communiqué du Groupe islamique armé (GIA), le plus radical des groupes islamistes algériens. Les sept moines trappistes français avaient été enlevés en mars dernier près de Médéa en Algérie. Le GIA proposait un échange de prisonniers à la France, sinon les religieux en paieraient le prix. Le Président français refusa toutes formes de négociations avec le groupe terroriste. C'en était fait des otages. Leur mort était un acte de représailles.

Ces assassinats ont provoqué stupeur, indignation et condamnation dans le monde entier. Les sept religieux ont choisi de vivre leur foi en Algérie et de consacrer leur vie à la prière. Ils méritent le respect de tous, ont proclamé les responsables du Quai d'Orsay. Ils avaient choisi de vivre en Afrique du Nord pour témoigner d'une entente possible entre chrétiens et musulmans. Ils avaient pour nom Paul Dorchier, un médecin, le père prieur Christian-Marie de Chergé et les frères Christophe Le Breton, Paul Fabre Miville, Michel Fleury, Célestin Ringeard ainsi qu'un moine de Fès, au Maroc, le père Bruno. Ils n'ont pas choisi de mourir mais ils ont choisi de rester pour être avec ce peuple et cette terre où ils sont le signe volontaire de l'amour qui vient de Dieu affirmait Mgr Lustiger, archevêque de Paris. Ils étaient des hommes de Dieu, des hommes de prière, des hommes de paix. Ils font maintenant partie des 18 religieux assassinés depuis 1993.

Que dire après un tel massacre ? Qu'écrire devant une telle ignominie.?
Une des plus grandes richesses de ce monde devrait être l'équilibre humain et spirituel auquel est parvenue une bonne partie de l'humanité. Tant de siècles d'évo-lution depuis le grand boum initial. La fierté du monde se reconnaît normalement dans ses acquis spirituels. Certains groupes en sont-ils totalement démunis? Ou est-ce l'exception qui confirme la règle?

Mais alors, quelle pauvreté spirituelle!
Lorsque l'on parle de richesses humaines on fait référence à l'intelligence des peuples, à la créativité de leurs élites, à la magnanimité de leurs chefs et à la grandeur d'âme de leurs guides spirituels. Une des fines fleurs de cette richesse s'appelle la gratuité. Elle est faite d'ouverture à l'autre, de don de soi, de foi, d'espérance aussi. Elle mise constamment sur l'intériorité pour parvenir à maintenir l'équilibre si fragile entre la passion de l'avoir et celle de l'être, entre le désir de service et celui de la puissance, entre l'intolérance, fruit de l'ignorance, et l'acceptation de l'autre, fruit de la sagesse.

Ils étaient sept à avoir misé leur vie sur la gratuité. Sept à vouloir partager leur cheminement spirituel avec d'autres frères et soeurs en humanité. Sept à croire que les richesses spirituelles feraient avancer le peuple algérien plus que des monceaux d'or et d'argent. Dans l'ombre de leur monastère, ils croyaient que cette partie de leur humanité tournée vers le sacré pouvait sauver le monde. Ils n'étaient pas partis en terre africaine en conquérants. Ils ne s'adonnaient pas au prosélytisme sournois dans le but de convertir des frères musulmans. Tout ce qu'ils désiraient, c'était d'être accueillis afin de partager l'avancée commune en humanité. Une conviction profonde les habitait : le fait de s'approcher de l'Unique, Dieu ou Allah, apporterait la paix. Ils en témoignaient, mystérieusement incarnés dans la culture africaine.

La majorité de la population en était consciente. Les gens les savaient respectueux de leurs traditions et de leurs croyances. C'étaient des hommes de Dieu, en quête d'un bien supérieur, dont la vocation était supposée rapprocher les êtres humains. La grande majorité des Algériens et des Algériennes les avaient perçus et accueillis comme tel. Ces "fous de Dieu" avaient choisi de vivre leur idéal loin de leur pays, loin de leurs familles car ils croyaient en la fraternité universelle. Ils se voulaient des témoins de lumière.

Ils ont rencontré les témoins des ténèbres. Ce groupe d'intégristes algériens, eux aussi croyants, eux aussi engagés, nourrissent un désir de conquête. Fanatiques convaincus, ils n'ont cure de la miséricorde envers l'étranger incroyant. Ils ont un combat à mener : celui de la pureté de la Foi (ou pureté de la race spirituelle). Il n'y a pas de compromis; celui-ci serait pour eux signe de faiblesse. Pour eux, les non-croyants (en Allah) sont des ennemis car ils portent en eux des semences de faux dieux. Du moins, est-ce leurs discours officiels : bien sûr, il s'agit aussi et surtout de pouvoir. La guerre spirituelle qu'ils mènent s'inscrit au coeur même du conflit algérien. Celui-ci fait rage depuis deux décennies et il a sa part de martyrs, d'un côté comme de l'autre. Intégristes et policiers s'affrontent : pions sacrifiés à des convictions diamétralement opposées. Mais ces cadavres nationaux ne suffisent pas aux chefs ambitieux. Ils exigent des morts exemplaires pour les jeter à la face du monde : un excellent moyen d'éveiller la conscience internationale.

Sept morts exemplaires : Il vaut mieux qu'un seul meure pour la multitude avait déjà dit Caïphe au sujet du Christ. Oui, ils étaient sept en quête d'absolu. Ils ne voulaient que partager leur découverte du sacré. Ils ont été sacrifiés au Dieu de l'intolérance.

Curieusement, pour nombre de croyants, ils ont réalisé ce pour quoi ils avaient tout quitté : éliminer un peu plus la pauvreté spirituelle. Ils avaient accepté par avance leur éventuel martyre. Ils vont demeurer un symbole de paix à la manière de Celui qu'ils ont toujours voulu suivre.

Michel Fortin, M.Afr.


Retour au menu principal