No 40 mai 2000.3
ONU 2000
La culture de la paix
Le monde, tel quil nous apparaît, nous semble souvent pris dans un cercle de violence inouï. Du coup de poing au coup de canon, la gamme des colères est très étendue. Des conflits du couple jusquaux guerres mondiales, le nombre en est innombrable.
Depuis 1959 jusqu'à ce jour, l'Afrique subsaharienne a connu 33 conflits armés, qui ont fait plus de sept millions de morts. L'Angola, les deux Congos, le Rwanda, le Burundi, l'Ouganda, le Soudan, l'Érythrée et l'Éthiopie, la Somalie, la Sierra Leone, le Liberia, la Guinée-Bissau, le Sénégal, l'Algérie : la liste est accablante de pays africains en guerre ou déchirés par des conflits civils. Hormis l'Algérie, où, malgré l'amnistie promise par le président Bouteflika, la guerre civile entre dans sa huitième année sur fond de rente pétrolière, toutes les autres guerres d'Afrique ont lieu dans un contexte de pauvreté extrême. Des guerres avec des enfants-soldats, des mercenaires et des atrocités indicibles, sans oublier l'énorme poids des dettes et l'insupportable coût humain de la misère. L'Afrique subsaharienne domine le liste des 48 pays "les moins avancés" et une proportion croissante de personnes y vivent dans la pauvreté absolue.
Comment résoudre ces problèmes? Répondre par la contre-attaque ou démissionner tout simplement?
Fichez-moi la paix, diront certains. Ou bien :
Soyons des artisans de paix, selon le principe du Maître.
Où nous situons-nous entre ces deux positions? Bien sûr, nous nous considérons comme du "bon monde". Nous ne voulons faire de mal à personne. Mais parfois les bons sentiments ne suffisent pas. Ne pas faire le mal, ce nest pas encore faire le bien, nest-ce pas?
L'Assemblée Générale des Nations Unies a proclamé l'année 2000 "Année Internationale de la Culture de la Paix". Un Manifeste a été lancé ayant pour but de ramasser 100 millions de signatures afin de les présenter à l'Assemblée Générale de l'ONU en septembre prochain. Il a été promu par un groupe de Lauréats du Prix Nobel qui se sont rencontrés à Paris lors du 50e anniversaire de la Déclaration des Droits Humains. Il y avait , parmi eux, Desmond Tutu, Rigoberta Menchu, Jose Ramos Horta, Nelson Mandela, le Dalaï Lama, Elie Wiesel et Carlos Ximenes Belo. Ils furent les premiers à signer le manifeste.
Le but en est de sensibiliser les personnes à la paix et il n'est pas adressé aux chefs de gouvernement. Il veut promouvoir la responsabilité de chaque être humain à traduire, dans sa vie quotidienne, des valeurs et des attitudes qui inspireront une "culture de la paix". Chacun peut agir dans cet esprit là où il est, que ce soit au sein de sa famille, à son travail, avec ses amis, dans sa ville ou sa région en devenant un messager de tolérance, de solidarité et de dialogue. Voici le texte de ce manifeste :
"L'an 2000 devrait être un nouveau départ pour nous tous. Ensemble, nous pouvons transformer la culture de guerre et de violence en culture de paix et de non-violence. Cela exige la participation d'un chacun. Celle-ci offrira aux jeunes de la génération montante des valeurs leur permettant de modeler un monde de dignité et d'harmonie, un monde de justice, de solidarité, de liberté et de prospérité.
La culture de la paix rend possible un réel développement, la protection de l'environnement et l'épanouissement personnel de chaque être humain.
Reconnaissant ma part de responsabilité dans le futur de l'humanité, spécialement envers les enfants d'aujourd'hui et ceux de la prochaine génération, je m'engage dans ma vie de tous les jours, envers ma famille, à mon travail, à l'intérieur de ma communauté, de mon pays, de ma région à :
En présentant le Manifeste, Federico Mayor, directeur général de l'UNESCO, organisme qui coordonnera les activités de l'année internationale, a dit : "Aujourd'hui plus que jamais, la cause de la paix a besoin de ce mouvement pour contrecarrer des siècles de culture de force et d'imposition. À l'aube d'un nouveau siècle et d'un nouveau millénaire, il nous faut faire un nouveau départ pour une culture de la paix et de dialogue, de non-violence et de tolérance."
Faisant référence au 20e siècle comme un siècle de violence et de mort, il a dit: "Nous avons assez payé le prix en vie humaine. Nous devons maintenant acheter la paix. Le grand défi auquel nous avons à faire face maintenant en est un de respect et d'écoute mutuelle."
Le directeur général a fait remarquer l'importance de lutter contre la pauvreté afin d'en arriver à une culture de la paix. Il ne faudrait pas oublier ce cercle vicieux qu'est la guerre et la misère : la FAO vient d'avertir que 20 millions d'Africains sont affamés par les guerres dans 15 pays subsahariens, car il est impossible de les secourir. Selon l'Unicef, 10 millions d'enfants de moins de 15 ans sont abandonnés en Afrique; à la réunion spéciale du Conseil de sécurité, l'ambassadeur de Tanzanie a souligné que "le lien entre pauvreté et conflit est crucial, et l'ONU doit en tenir compte quand elle demande à l'Afrique de régler ses problèmes". M. Mayor a ajouté : "La démocratie est le meilleur chemin pour éliminer la pauvreté. La liberté, la solidarité, la démocratie et la paix sont les piliers sur lesquels nous pouvons construire le futur. Main dans la main, nous pouvons écrire le futur, si nous réalisons tout le potentiel de la mobilisation." Il a finalement conclu : "Cultivons la paix sur une base quotidienne. La paix est comme la liberté; elle ne nous est pas donnée, elle est à construire."
Ne pensons surtout pas que nous sommes inutiles pour pacifier le monde. Un grain de sable suffit parfois à démolir une machine de guerre. La goutte deau contribue bien à créer des rivières et des océans. Pourquoi notre voix ne créerait-elle pas une chorale de paix? Navons-nous pas de bonnes nouvelles à proclamer?
Ne démissionnons jamais. Il vaut mieux allumer une petite lumière que maudire lobscurité.
Michel Fortin, M.Afr.