Africana Plus

No 49 Mars2002.2



Nigeria
Guerre religieuse ou guerre sociale ?


 

Dépêche – De nouvelles émeutes interreligieuses ont éclaté dans l'État nigérian de Kaduna (nord), à la suite de l'instauration de la loi islamique, faisant au moins 11 morts et des dizaines de blessés, a annoncé le porte-parole de la police le 5 novembre. L'an dernier, de premières tentatives d'instaurer la sharia avaient déjà provoqué deux séries d'émeutes et des centaines de morts à Kaduna. Les nouveaux affrontements ont éclaté le 2 novembre, jour de l'entrée en vigueur de la sharia, dans le district majoritairement chrétien de Sanga, situé dans le sud de l'État. Les heurts ont essentiellement mis aux prises de jeunes musulmans et chrétiens.

Dépêche – La violence, alimentée par des prétextes religieux, s'est propagée dans la ville d'Osogbo, dans l'État d'Osun (sud-ouest du Nigeria), le 30 novembre. Un groupe d'extrémistes islamistes, estimé à 500 personnes, a fait des incursions qui se sont soldées par la mort d'un jeune homme et le saccage d'une quinzaine de lieux de culte. Les fondamentalistes ont d'abord détruit des églises de différentes dénominations chrétiennes. Puis, ils se sont dirigés vers le domicile d'un pasteur protestant, ont fait sortir son fils âgé de 24 ans et l'ont étranglé. Ils se sont ensuite dirigés vers une autre zone de la ville, où ils ont mis le feu à plusieurs autre églises.

Dépêche Le 14 janvier, le procès en appel de la Nigériane, Safiya Husseini Tungar-Tudu, 35 ans, condamnée à être lapidée "pour adultère" par un tribunal islamique de Sokoto, a été ajourné jusqu'au 18 mars.

Le Nigeria est en proie depuis 20 ans à des violences ethniques et religieuses qui ont fait des milliers de morts. La constitution nigériane garantit la liberté de religion à tous les citoyens mais, depuis plus deux ans, une douzaine d'États du pays ont adopté la loi islamique contre l'avis du gouvernement fédéral et de la communauté chrétienne. Jusqu'à maintenant, le président Olusegun Obasanjo n'a pas osé ouvrir un débat sur cette pratique qui est concentrée dans le nord du pays, là où les musulmans sont largement majoritaires. Cette indifférence de la part du président et des principaux leaders du Nigeria était mise sur le compte de la peur : discuter ouvertement de cette question, entraînerait le risque d'exacerber les tensions entre les groupes religieux et, éventuellement, de provoquer une guerre civile.

Avec quelque 150 millions d'habitants, le Nigeria est la plus grande démocratie de l'Afrique. Le pays possède de grandes richesses humaines, matérielles et minérales et il est riche en pétrole. Il compte plus de 36 universités et environ 60 instituts polytechniques, des collèges et d'autres institutions professionnelles. Cependant, dans cet immense pays, les conflits religieux et ethniques font rage.

Encore une guerre de religion ? Ou bien est-ce uniquement le fait de certains fanatiques qui croient que le retour à l'enseignement du Prophète passe par la flagellation, la lapidation et la décapitation ? Y a-t-il dans le monde musulman des voix autorisées et respectées capables de faire taire ces extrémistes ?

Le compositeur Rodolphe Mathieu disait que la religion est une lanterne qui parcourt les ténèbres de la vie : pour chacun, cette lanterne se promène à travers un univers dont elle n'éclaire que ce qui rassure le promeneur. Aucune religion, sans doute, n'est à l'abri du fanatisme, qui est souvent, chez ceux qui s'y abandonnent, une affaire de tempérament. Dans les religions monothéistes, on constate que certains de ses membres sont capables de crimes et d'excès de tous genres. D'ailleurs, il y a toujours des intégristes chrétiens, particulièrement aux États-Unis, et des extrémistes juifs, surtout en Israël et en Palestine occupée, où ils font régulièrement usage de la violence. Mais c'est dans les pays musulmans qu'on voit de nos jours les manifestations terroristes les plus nombreuses. Les membres de ces religions se servent de celles-ci pour faire avancer leurs causes.

Le message d'Assise, le 24 janvier 2002, nous le rappelle : "Face à la violence, qui à notre époque sévit dans tant de régions de la terre, (les représentants des religions) ressentent le besoin de montrer que les religions sont un facteur de solidarité, en reniant et isolant ceux qui se servent du nom de Dieu dans des buts et avec des méthodes qui en réalité l'offensent". La perception de la religion offerte en ce moment dans plusieurs pays musulmans est tellement négative que l'Organisation de la Conférence islamique (OCI) a décidé, lors d'une réunion tenue en avril dernier, de créer en son sein un département des communications chargé de "réparer" les torts commis contre l'image de l'islam dans le monde. Il convient pourtant de rappeler cette sourate du Coran, nettement impérative, qui ordonne la liberté de conscience. Elle proclame : "Pas de contrainte en religion" (2,256).

Ghandi disait : "Si un chrétien venait me dire qu'enthousiasmé par sa lecture du Bhagvat, il veut se convertir à l'hindouisme, je lui répondrais : N'en faites rien. La Bible a tout autant à vous offrir que le Bhagvat. Mais vous n'avez pas vraiment essayé de la découvrir. Faites cet effort et soyez un bon chrétien."

En avril dernier, les évêques catholiques d'Indonésie disaient ceci à leurs fidèles : "Il nous faut nous débarrasser de tout préjugé envers les gens d'une autre religion, d'une autre ethnie ou d'un autre groupe. Si nous souhaitons qu'eux-mêmes n'aient pas de préjugés à notre égard, n'en ayons pas non plus envers eux. Revenons donc de notre dureté de cœur, de toute méfiance et de tout préjugé. Saint Paul nous le dit : "Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien" (Rm12,21)."

Le pape lui-même, s'adressant aux chrétiens du Kazakhstan, en septembre dernier, disait que Jésus nous suggère la "logique de l'amour", en nous demandant de l'appliquer en particulier en étant généreux envers les indigents. Il s'agit d'une logique qui peut rassembler les chrétiens et les musulmans, en les engageant à construire ensemble la "civilisation de l'amour". Il s'agit d'une logique qui dépasse toutes les ruses de ce monde et qui nous permet de nous procurer des amis véritables, qui nous accueillent " dans les demeures éternelles" (Luc 16,9).

"Je désire réaffirmer, disait-il, le respect de l'Église catholique pour l'islam authentique : l'islam qui prie, qui sait être solidaire de celui qui est dans le besoin. Se souvenant des erreurs du passé, y compris d'un passé récent, tous les croyants doivent unir leurs efforts, afin que jamais Dieu ne soit pris en otage par les ambitions des hommes. La haine, le fanatisme et le terrorisme profanent le nom de Dieu et défigurent l'image authentique de l'homme."

La directive du pape aux évêques nigérians doit être, pour tous les chrétiens, le cadre de leurs relations avec les musulmans : "travailler ensemble à la perfection de l'humanité et rechercher ensemble une paix véritable."

Selon les évêques nigérians, dont Mgr John Onaiyekan, archevêque d'Abuja, la religion est un prétexte à la violence. Pour eux, ce qui se passe au Nigeria est du domaine politique, social et économique. Il ne s'agit pas d'affrontements interreligieux. Pour Mgr Onaiyekan, il y a des gens qui sont des fanatiques. Ces extrémistes qui parlent de "chrétiens" et de "musulmans" ne savent pas de quoi ils parlent, et ils se servent intentionnellement du masque religieux pour exacerber la situation. "Nous savons très bien, dit-il, que le riche Occident n'est pas mené par un esprit chrétien. Il ne s'agit pas de christianisme et d'islam. Bien plus, si nous parlons de christianisme, peut-être les chrétiens devraient-ils lutter contre ce monde occidental, aussi injuste. Le Saint-Père lui-même l'a déclaré : la division entre riches et pauvres n'est pas la volonté de Dieu. Prenons un exemple : les missiles "intelligents" coûtent des millions de dollars et sont expédiés dans le désert. Le coût d'un d'entre eux serait suffisant pour me construire au moins 20 hôpitaux au Nigeria. N'est-ce pas de la folie tout ça ?"

C'est l'avis de Mgr Oneiyekan qui, soit dit en passant, est né musulman. Il tend, comme l'Église du Nigeria en général, à minimiser l'importance du fait religieux dans ces confrontations. Peut-être essaie-t-il, comme une partie des évêques, de sauvegarder la réalité du bon voisinage ; ce qui a valu à l'Église catholique de ce pays d'être, parmi les Églises et groupes chrétiens, la plus proche des autorités musulmanes. Au Nigeria, les violences ont des causes multiples : religions, tribus (Ibos surtout et Hausas-Fulanis), affrontements nord-sud, et toute l'histoire ancienne depuis la colonisation. Au cours de celle-ci, plusieurs groupes ethniques, à majorité musulmane, furent privilégiés, aux dépens des autres, Ces groupes furent intégrés dans le système du pouvoir britannique, et purent dominer les autres. Il est évident que les groupes privilégiés se sentent menacés par ceux qui veulent plus de justice, et en premier lieu par les chrétiens. L'introduction de la sharia dans de nombreux États du Nord a pour but de maintenir le statut quo religieux et social de certains groupes ethniques.

Comment peut-on sortir de cette situation ? Pour éviter de nouvelles violences, il faut créer un "Forum" ouvert à toutes les forces politiques et sociales du Nigeria, où l'on définirait de nouvelles règles de coexistence commune. La plus grande partie des Nigérians, chrétiens et musulmans, veulent la paix. Les évêques considèrent en outre que l'adoption de la "sharia" par plusieurs États du Nord est une "violation flagrante des droits de l'homme de ceux qui ne sont pas musulmans dans une société et dans un État pluri-religieux et laïc comme le Nigeria." L'adoption de cette loi islamique est "un acte d'irresponsabilité grave de la part d'hommes politiques qui se servent de la religion comme moyen pour promouvoir leurs propres intérêts et fomenter la violence au sein de la population". Pour eux, la classe politique a d'énormes responsabilités, parce qu'il y a un lien entre violence, injustice et corruption, qui sont devenues systématiques. Les évêques déclarent : "Si l'on veut la paix, il faut travailler pour la justice". Les chrétiens qui se livrent à des violences doivent "retourner au Christ", et les musulmans doivent "retourner à Allah et accepter les préceptes véritables de l'islam qui signifie paix".

Une lettre émanant du Conseil Général des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs), déclarait récemment que la coexistence pacifique et harmonieuse entre les peuples de croyances diverses demeure possible. Dans plusieurs pays africains où ces missionnaires travaillent, ils peuvent le constater. "Y a-t-il d'autres endroits similaires où des gens de diverses croyances religieuses demeurent pacifiques, vivant côte à côte, partageant les joies et les peines de la vie, comme dans ces coins d'Afrique ? Voilà une Bonne Nouvelle." Les Missionnaires d'Afrique en sont témoins et ce "à la face du monde" disent-ils. "Notre rêve est de voir l'Afrique de demain jouer un rôle de premier plan dans le monde pour une coexistence interreligieuse pacifique et constructive."

Les Missionnaires d'Afrique ont à cœur de favoriser l'ouverture au dialogue déjà amorcé entre musulmans et chrétiens, partout où ils se côtoient. Mais cela requiert une claire perception des réalités culturelles et religieuses vécues par les musulmans. Le dialogue doit tendre, dans la mesure du possible, à une rencontre spirituelle. Chacun devrait se sentir responsable de l'épanouissement religieux de l'autre. Cette attitude suppose aussi la prise de conscience de la liberté et de la responsabilité intérieures de chaque personne dans sa relation personnelle avec Dieu et dans son cheminement spirituel. Chacun, guidé par l'Esprit, saura trouver dans le concret de sa vie, dans ses actes et ses paroles, la manière de vivre sa foi et d'entrer en communion avec autrui.

Michel Fortin, M.Afr.

 


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