No 50 Mai 2002.3
Mission
"C'est dans ta faiblesse que je
suis fort!"
Dans une conférence donnée dernièrement à ses confrères, le Supérieur Général des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs), François Richard, se posait ces questions : "Où allons-nous ? Que va devenir notre petite Société missionnaire ?" Chiffres à l'appui, les Pères Blancs sont passés, en quelques décennies, de 3,500 membres à environ 1900. Et la descente est bien amorcée : on parle d'au moins 60 décès par an. Dans 20 ans ils ne seront plus que six ou sept cent.
Et il n'y a pas que le nombre qui change, mais aussi la couleur. Sur 295 jeunes qui se préparent dans leurs maisons de formation 85% sont Africains, 12% viennent des nouvelles fondations comme le Brésil, le Mexique, l'Inde ou les Philippines; 3% seulement proviennent de l'Europe ou de l'Amérique. D'où la question du père Richard : "Que va devenir notre petite Société ?"
S'ils étaient perçus autrefois comme des fondateurs tant au niveau paroissial qu'à celui du développement humain, scolaire ou médical, les missionnaires sont maintenant perçus comme des initiateurs. Ils croient toujours qu'il est essentiel de faire connaître Jésus-Christ là où il n'est pas encore connu et de diffuser son message de paix et d'amour. Mais plus que jamais, ils veulent le faire en dialogue et dans le respect des croyances d'un chacun.
L'expérience missionnaire propose une spiritualité du dialogue pour la rencontre interreligieuse. Un premier trait de cette spiritualité est l'événement de l'hospitalité. À l'encontre de la volonté de puissance qui assimile l'autre par la violence ou la séduction, le dialogue ouvre l'espace et le temps d'une véritable communication humaine. Faite de pauvreté, de vulnérabilité et de purification, il se révèle nécessaire à la confiance réciproque pour que les peurs s'évanouissent. Le deuxième trait est celui de l'écoute où paroles et silences sont nécessaires pour tisser la relation. Celle-ci comportera des étapes de découvertes et d'engagements, de conflits et de réconciliations. Un troisième trait est celui de la recherche de la vérité qui n'est pas d'abord faite de négociations mais de compréhensions mutuelles et de témoignages. Enfin le dernier trait est celui de la vérification de cette expérience spirituelle par le fruit qui en découle : celui d'accueillir la belle et dure différence d'autrui. Accepter l'autre comme différent de soi, sans vouloir l'assimiler ou le banaliser, voilà le test d'authenticité qui balaie toute illusion. Cette spiritualité du dialogue suggère une démarche de conversion et de croissance. Elle vérifie la maturité de la foi; et la personne qui vit l'épreuve d'un dialogue n'en revient jamais indemne.
Cela n'empêche nullement le missionnaire de faire ce dialogue en conformité avec les priorités de la Société à laquelle il appartient. Pour les Pères Blancs, voici celles qu'ils se sont données pour le futur immédiat :
Ces tâches initiales, comme ils aiment les nommer, sont tout un défi pour les jeunes missionnaires. Mais comme ces derniers sont de cette génération où l'on a vanté les mérites du partage, de la réciprocité, du partenariat et du dialogue, ils sont sur la bonne voie pour réaliser leur vocation.
Il y a cependant une autre valeur qui n'est pas gagnée d'avance. Elle s'appelle l'humilité, celle qui fait prendre conscience de sa petitesse, disons même de sa faiblesse. Reconnaître, accueillir, accepter sa propre faiblesse apparaît alors comme un passage nécessaire, inévitable. Ce passage a sans aucun doute des aspects crucifiants que ce soit sur le plan personnel, communautaire ou ecclésial puisqu'il ne s'agit de rien d'autre en définitive que de suivre le Christ dans son mystère pascal. Les conséquences d'une telle attitude personnelle et communautaire peuvent être immenses pour la mission. Elle invite en effet à renoncer à toute prétention dans la rencontre de l'autre si faible soit-il, et à aller à lui sans avoir peur de ses faiblesses physiques, morales, spirituelles; elle pousse donc à un changement de regard sur l'autre à qui on ne cherchera pas à en imposer. On verra plutôt dans sa petitesse un plus grand appel à l'amour.
En ce sens, saint Vincent-de-Paul, fondateur des Filles de la Charité, disait à l'une de celles-ci : "Ce n'est pas tout de donner le bouillon et le pain. Cela les riches peuvent le faire. Tu es la petite servante des pauvres, la fille de la Charité, toujours souriante et de bonne humeur. Les pauvres sont tes maîtres, des maîtres terriblement susceptibles et exigeants, tu verras. Alors, plus ils seront laids et sales, plus ils seront injustes et grossiers, plus tu devras leur donner ton amour! Ce n'est que pour ton amour, pour ton amour seul, que les pauvres te pardonneront le pain que tu leur donnes "
C'est là une charité pleine de discernement mais aussi la charité discrète de Celui qui a voulu partager la petitesse de notre condition humaine "en toutes choses, excepté le péché". En cela même, on découvre une spiritualité des mains vides, où l'on comprend que tout, jusqu'à ses faiblesses, peut devenir don et grâce de Dieu, manifestation de la puissance de son amour qui, seule, peut convertir la pauvreté humaine en force spirituelle: "Ma grâce te suffit; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse"(2Cor 12,9).
Une telle humilité devient une force. C'est cette noblesse intérieure qui rend capable, dans la vie quotidienne, de ne pas faire usage de son pouvoir, d'accepter d'être "comme tout le monde", même si on est socialement avantagé, d'être petit avec les plus petits. Certaines communautés chrétiennes d'Algérie vivent ce genre de dépouillement depuis des décennies. Voici le témoignage de l'une de celles-ci, d'après un article de Paul Décisier,sj, du Lien D'Oran :
"Ce ne sont pas nos services, même s'ils sont réels, qui justifient notre présence ici. Ce ne sont pas non plus les rêves qu'en d'autres temps nous aurions pu entretenir. Ni le soutien massif d'une population qui, dans sa grande majorité, nous ignore. Ni les encouragements et témoignages de solidarité, pourtant précieux, que nous expriment d'autres communautés chrétiennes à travers le monde. C'est la conviction, fondée et expérimentée, que l'espérance, vertu théologale, peut être ici vécue concrètement. Cette vie ordinaire de gens ordinaires placés dans des circonstances extraordinaires s'appuie simplement comme toute vie chrétienne, sur les deux commandements de l'amour : l'amour de Dieu et l'amour du prochain, sans qu'on puisse bien savoir lequel conduit à l'autre. Nous sommes ici à cause de Jésus pour ceux qui nous entourent."
Le missionnaire du troisième millénaire doit toujours se rappeler qu'il est l'ami des pauvres. Peut-être que le fait de devenir une "petite communauté interraciale" l'aidera à simplifier davantage sa vie. Il sait qu'il doit se mettre à l'école des petits, expérimenter leur milieu de vie, leurs humiliations et leurs faiblesses mais aussi la richesse de leur foi et leur sens unique de la communauté. C'est toujours à partir d'eux qu'il est appelé à se réapproprier l'Évangile, qu'il a à réapprendre les valeurs humaines, spécialement celle de se réjouir des choses simples de la vie. Comme ami des pauvres, il se fait complice dans leur lutte pour un monde meilleur, un monde où règne la justice et l'égalité pour tous.
Il sait cependant que cela ne se fait jamais tout seul. Il a besoin de l'Esprit Saint "afin que sa foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu"(1Cor. 2,5). D'où le besoin de contemplation tel que le propose Jean-Paul II dans sa lettre Novo Millenio Ineunte : "La mission est contemplation avant d'être action; elle est le reflet, sur l'Église et sur le chrétien, du Visage du Seigneur. Notre témoignage serait d'une pauvreté intolérable, nous avertit le pape, si nous n'étions pas les premiers contemplateurs de son visage" (N.M.I., 16). Un style de présence missionnaire plus contemplatif, riche en patience, endurance, maîtrise de soi, et en humilité est nécessaire aujourd'hui plus qu'hier. Une telle approche créera le temps et l'espace qui permettront à la semence de la Parole de Dieu de grandir en terre africaine, de germer selon ses propres lois et enfin de développer ses propres feuilles pour une vie nouvelle. C'est tout un programme pour les futurs candidats à la vie missionnaire.
Dans son livre Mission and Ministry in the Global Church, Antony Bellaganba les décrivait ainsi : "Les missionnaires doivent être des personnes qui vivent, ou ont vécu, en plusieurs milieux culturels différents, qui ont été en contact avec de multiples nationalités et qui ont prié avec des disciples de nombreuses religions autres que la leur. Ils ont appris plus d'une langue. Ils se retrouvent chez eux partout, sans être tout à fait chez eux nulle part. Ils se déplacent facilement d'une place à l'autre, d'une culture à l'autre, sans cependant devenir confus, ou perdus, ou incapable d'agir. Le missionnaire du troisième millénaire est le visage même de ce que tout homme doit devenir dans le prochain stade du développement de l'humanité ". C'est à dire, un "citoyen du monde".
Michel Fortin, M.Afr.