Africana Plus

No 7 Février 1995.1



Tiers monde

Des missionnaires bien vivants


L'émission Enjeux de Radio-Canada, présentée le 8 février dernier, a soulevé l'intérêt de plusieurs membres des communautés missionnaires qu'on pourrait qualifier d'anciennes. Parmi ceux-ci, nombreux sont ceux et celles qui se sont sentis valorisés par ce programme. Cependant, cette présentation a aussi suscité certaines interrogations.

Où sont passés nos missionnaires?

L'annonce publicitaire mentionne ceci: Il n'y a pas si longtemps, la vocation de missionnaire était l'une des plus admirées; en parallèle, les missionnaires d'hier et d'aujourd'hui.

La première partie du programme est intitulée: Les survivants d'une autre époque. Le fait de commencer cette partie de l'émission dans un cimetière est assez suggestif. Mais, bon, soyons honnêtes, il y a du positif dans la présentation des anciens missionnaires. Bien que mourants, ces survivants sont traités de héros méconnus qui ont risqué leur vie pour le bien des autres. Nous ressentons l'admiration que l'on voue à ces êtres historiques issus de notre folklore québécois. À la fin de l'émission, on va même jusqu'à exiger la réhabilitation de ces missionnaires d'autrefois qui sont à la source de ces nouveaux missionnaires... laïcisés.

Il est juste d'affirmer que les missionnaires religieux sont de moins en moins nombreux. Il faut se rendre à l'évidence: les vocations issues de communautés religieuses traditionnelles sont à la baisse. Par contre, saviez-vous qu'il y a encore près de 3500 de ces missionnaires canadiens? Parmi ceux-ci, 2000 proviennent du Québec. Ils travaillent en Afrique, en Amérique, en Asie et en Océanie. Ils viennent de 40 communautés masculines et de 67 communautés féminines. Il y a aussi plus de 200 missionnaires laïcs, associés d'une façon ou d'une autre à ces instituts missionnaires.

Les services qu'ils offrent aux Églises-soeurs qui les accueillent sont diversifiés et parfois novateurs. Ils touchent le domaine de l'éducation à tous les niveaux, secteur de la santé préventive et curative, champ de l'engagement social avec tous les groupes d'âge sous toutes les formes, tous les volets du ministère pastoral et enfin le secteur des techniques et des spécialités.

Bien sûr, on est loin des 5000 religieux(ses) québécois dont faisait mention le Chanoine Lionel Groulx en 1959. Mais tout de même, ce n'est pas peu! En tous les cas, ils se comparent avantageusement aux 2000 coopérants dont fait référence l'émission.

Il est vrai enfin que la relève des communautés missionnaires provient de plus en plus des pays du tiers monde. Dans la production de Radio-Canada, on souligne la relève cubaine, malgache, péruvienne, haïtienne, chinoise et bolivienne des Soeurs de l'Immaculée Conception.

Il y eût un temps où la mission se faisait à sens unique: de l'Europe et de l'Amérique du Nord vers le tiers monde. Aujourd'hui, cette mission évoque plutôt un vaste réseau où la circulation se fait dans tous les sens. Elle devient de plus en plus rayonnement de la Bonne Nouvelle d'un peuple à l'autre, partage d'Évangile entre Églises des six continents. Dans cette optique nouvelle, notre fraternité, elle, se construit à l'image d'un échangeur aux voies multiples, destiné à faciliter la communication et la solidarité entre le tiers monde et ce grand village qu'est devenu notre planète. Moins de Québécois s'engagent dans cette fraternité religieuse qu'il y a quarante ans, c'est certain. Par contre le nombre de candidats qui nous viennent d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud va, lui, en augmentant.

Mais attention! Dire qu'il n'y a pas foule à la maison ne signifie pas qu'il n'y a plus personne. À preuve, ces 3500 missionnaires canadiens.

La deuxième partie de l'émission s'est avérée plus discutable: celle où il est question des nouveaux missionnaires.

Disons d'emblée que les coopérants (dans l'émission, Louis-André et Brigitte sont membres du Centre d'étude et de coopération internationale - CECI), font un travail remarquable. L'aide humanitaire qu'ils apportent est admirable tant par l'audace des projets que par la gratuité qui les anime.

Cependant, est-il juste d'affirmer que les nouveaux missionnaires auront tous un nouveau visage et un nouveau credo? Est-il équitable de soutenir que tous, ils aideront à améliorer la condition des pauvres avec le discours religieux en moins? Est-il vrai que l'aide des coopérants est plus gratuite que celle de l'ancienne génération d'apôtres? Car selon Louis-André, celle-ci n'est pas associée à la religion ou à la politique. Si je fais une adduction d'eau ou un projet d'irrigation, disait-il, je ne mets pas, comme condition, la construction d'une Église... Les missionnaires religieux d'autrefois, comme ceux d'aujourd'hui, ont-ils conditionné leur aide?

C'est de la notion même de la Mission, telle que comprise par les membres des communautés religieuses, dont il est ici question.
Si l'Église d'antan a été conquérante, elle ne l'est plus aujourd'hui. Dans une élocution du 1er octobre 1991, le cardinal Turcotte, évêque de Montréal, disait: Il ne s'agit certainement pas de retrouver ou de reconstruire une Église triomphante ou une Église de convenance sociale. Nous devons nous appliquer à édifier ensemble une communauté plus humble, beaucoup moins puissante, mais vraiment servante du monde. Une Église qui annonce l'option préférentielle du Seigneur pour les défavorisés, les pauvres, les sans-voix.
Les missionnaires religieux d'aujourd'hui et de demain doivent vivre pauvrement à l'image de ceux et celles qu'ils côtoient et ils doivent le faire gratuitement, sans intention de prosélytisme.

Jean-Guy Dubuc, journaliste à La Presse, avait bien décrit leur action, il y a quelques années: On a toujours associé le travail du missionnaire à un travail de conversion, c'est-à-dire à une question de foi. Mais ce travail en est essentiellement un de charité et d'amour. La foi est importante: c'est elle qui motive ces gens aux folles audaces. Mais ils ne l'imposent pas: ils la vivent intérieurement et elle s'exprime dans des gestes de solidarité, d'engagement social et de partage. Les témoins de leurs gestes comprennent, eux. Leur merci se cache dans leur survie.

Il y a cent ans, le cardinal Lavigerie, fondateur des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs), disait à ses fils spirituels: Soignez les malades, servez les gens dans leurs difficultés. Ne discutez pas religion. Aimez, faites-vous aimer parce que Dieu est Amour.

L'adduction d'eau ou le travail de garderie, qu'il soit fait par un missionnaire religieux ou un coopérant laïc, doit se faire dans la gratuité, peu importent les motivations qui les génèrent.

Par contre, le développement durable, dont parlait Louis-André, va plus loin lorsqu'on tient compte du développement intégral de la personne humaine. S'il n'est pas nécessaire d'asperger d'eau bénite toutes les réalisations humaines, il n'est par contre pas inutile de proposer les valeurs évangéliques à celui ou celle qui, enchaîné dans la pauvreté spirituelle ou morale, vit dans la crainte et dans la peur. La liberté intérieure figure aussi au nombre des plus belles réalisations du missionnaire.

Les missionnaires, qu'ils soient prêtres (800), religieux(ses) (2500) ou laïcs (200) ont encore une service à rendre à la mission de l'an 2000. S'ils continuent de s'incarner dans des peuples précis en apprenant leurs langues et leurs coutumes, s'ils acceptent d'être partie prenante de leurs luttes, de leurs échecs, de leurs victoires et, parfois, d'être du nombre de leurs blessés et de leurs morts, ils seront les plus vivants des humains. Peu importe leur âge, ils demeureront les semences qui savent mourir pour donner des pousses nouvelles.

Gens du pays, sachez-le, les missionnaires issus de votre folklore religieux, sont toujours bien vivants.

Michel Fortin, M.Afr.


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