Africana Plus  

No 78 Janvier 2008.1



2008 Année internationale des langues


L’année 2008 a été proclamée Année internationale des langues par l’Assemblée générale des Nations Unies. L’UNESCO, chargée d’en coordonner les activités, entend assumer de manière résolue son rôle de chef de file.

L’Organisation est parfaitement consciente de l’importance cruciale des langues vu le grand nombre de défis auxquels l’humanité devra faire face dans les prochaines décennies. Les langues sont en effet essentielles pour l’identité des groupes et des individus, et pour leur coexistence pacifique. Elles constituent un facteur stratégique pour la progression vers un développement durable, et pour une articulation harmonieuse entre le global et le local. Elles revêtent une importance capitale pour atteindre les six objectifs de l’éducation pour tous (EPT) ainsi que les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) sur lesquels les Nations Unies se sont accordées en 2000.

En tant que facteurs d’intégration sociale, les langues occupent en effet une place stratégique dans l’élimination de la pauvreté extrême et de la faim; comme supports d’alphabétisation, d’acquisition des connaissances et des compétences, elles sont essentielles pour réaliser l’enseignement primaire universel; le combat contre le VIH et le sida, le paludisme et d’autres maladies, pour toucher les populations concernées, doit se mener dans leurs langues; la sauvegarde des savoirs et savoir-faire locaux et autochtones en vue d’assurer une gestion durable de l’environnement est intrinsèquement liée aux langues locales et autochtones.

Par ailleurs, la diversité culturelle est étroitement liée à la diversité linguistique, comme le rappellent la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle et son Plan d’action (2001), la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005).

Or dans quelques générations, plus de 50 % des 7 000 langues parlées dans le monde risquent d’avoir disparu. Moins d’un quart d’entre elles sont aujourd’hui utilisées à l’école et dans le cyberespace, et pour la plupart seulement sporadiquement. Des milliers de langues – bien que parfaitement maîtrisées par les populations dont elles sont le moyen quotidien d’expression – sont absentes des systèmes éducatifs, des médias, de l’édition et du domaine public en général.

Aussi est-il urgent d’agir. Comment ? En encourageant et en développant des politiques linguistiques permettant à chaque communauté linguistique d’utiliser sa langue première, ou langue maternelle, aussi largement et souvent que possible, y compris dans l’éducation, tout en maîtrisant une langue nationale ou régionale et une langue internationale.

L’UNESCO invite donc les gouvernements, les organismes des Nations Unies, les organisations de la société civile, les institutions éducatives, les associations professionnelles et toutes les autres parties prenantes à multiplier leurs activités propres en faveur du respect, de la promotion et de la protection de toutes les langues, particulièrement les langues en danger, dans toutes les situations de la vie individuelle et collective. Il est important de promouvoir partout l’idée que « les langues, ça compte !».

Lorsqu’on veut s’insérer dans un pays, faire un avec ses gens, on suggère d’apprendre les langues et les coutumes. On appelle cela l’inculturation. Entrer dans la culture des personnes visitées, c’est se rapprocher d’elles, c’est les respecter dans ce qui fait leur individualité, leur identité : et cela se fait en apprenant leur langue. Combien de missionnaires partis dans des pays lointains n’ont-ils pas fait l’expérience d’apprendre pendant des mois et des années une langue qui leur permettrait d’annoncer une Bonne Nouvelle qu’ils voulaient partager. Ils voulaient évangéliser dans la langue de leurs hôtes.

« Le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue », déclarait l’écrivain Stendhal. « Le droit à l’usage de sa langue, la capacité à communiquer et donc à comprendre et se faire comprendre, la préservation d’un héritage souvent vieux de plusieurs siècles ou millénaire doivent bien être au cœur de la mission des Nations Unies », a insisté Jean-Marc de La Sablière.

Alors que le représentant d’Andorre a insisté sur la protection des langues en tant que fondement de la diversité culturelle, ceux de la Tunisie et de la Fédération de Russie ont fait valoir que les six langues officielles des Nations Unies – l’anglais, le français, l’espagnol, le chinois, l’arabe et le russe - représentent un moyen de renforcer l’efficacité de l’Organisation par le biais du respect des principes fondamentaux qu’elle est censée incarner. 

Qu’est-ce, en vérité, que la richesse d’une langue ? Quel est son apport en humanité ?

Dans une perspective sociolinguistique (étude des langues dans leur rapport aux sociétés), le terme "langue" définit tout idiome remplissant deux fonctions sociales fondamentales: la "communication" (c'est au moyen de la langue que les acteurs sociaux échangent et mettent en commun leurs idées, sentiments, pensées, etc.) et l'"identification" (de par son double aspect individuel et collectif, la langue sert de marqueur identitaire quant aux caractéristiques de l'individu et de ses appartenances sociales). Par conséquent, les « langues » sont des objets vivants, soumis à de multiples phénomènes de variations et les frontières entre les langues sont considérées non hermétiques car elles relèvent d'abord des pratiques sociales.

Une langue est dite vivante lorsqu'elle est utilisée oralement par des personnes dont elle est la langue maternelle, ou par une communauté suffisamment nombreuse et de façon suffisamment intensive pour permettre une évolution spontanée de la langue. On appelle langue morte ou éteinte une langue qui n'est plus pratiquée oralement comme langue maternelle, mais qui peut être encore utilisée dans certains domaines (tels que la religion). La connaissance des langues mortes, en permettant l'étude des textes anciens, est utile notamment à la linguistique historique, ainsi qu'à l'histoire et à ses disciplines annexes. Les deux langues mortes les plus importantes de la culture occidentale sont le latin et le grec ancien. L'expression « langue morte » est contestée par beaucoup de ceux qui les pratiquent. On lui préfère alors « langue ancienne ». Il est possible de « ressusciter » des langues mortes, comme le montre l'exemple de l'hébreu.

Il est impossible de déterminer avec précision le nombre de langues parlées dans le monde, en raison de la difficulté qu'il y a à tracer des frontières précises entre les langues, notamment à différencier les langues des dialectes. Selon les estimations, il existerait aujourd'hui entre 3 000 et 7 000 langues vivantes.

On estime qu'en 2100, les langues majoritaires seront:

- l'anglais, comme langue internationale pour le commerce et les échanges scientifiques notamment.

- le français, comme langue de la diplomatie internationale, des "Pays Non-Alignés", des organisations internationales, des jeux Olympiques. La Francophonie devrait bien se porter, notamment à travers son développement au sein de la communauté des pays francophones, avec son expansion croissante en Afrique et au Maghreb et le concours du dynamisme linguistique des francophones belges, suisses et québécois.

- l'espagnol, en Amérique du Sud (et au sud des Etats-Unis)

- le portugais, en Amérique du Sud, et en Afrique

- l'arabe

- le chinois et l'hindi, en Asie

- le swahili et le wolof, en Afrique

Une langue est considérée comme menacée si elle risque de ne plus avoir de locuteurs d'ici la fin du XXIe siècle. Une langue qui paraît solide, car utilisée par plusieurs millions de personnes, peut être en danger. C'est notamment le cas des langues quechua en Amérique du Sud, car très peu de jeunes l'apprennent.

Depuis que la majorité de l'humanité vit dans des milieux urbains, cette disparition s'accélère. Une des causes est l'exode rural, qui fait que les traditions ne peuvent être perpétuées et l'usage des langues qui va avec elles. Souvent, la pression sociale fait que les locuteurs de langues minoritaires considèrent que parler une langue traditionnelle est un handicap pour l'intégration dans la société et pour trouver du travail. La pression exercée par certains États, qui considèrent que la langue est un des ciments de la société, est également un facteur de disparition de la diversité linguistique.

La disparition de ces langues entraîne avec elle la disparition de pans entiers de la culture traditionnelle de certains groupes. La disparition d'une langue traditionnelle et le mauvais apprentissage de la langue dominante occasionnent un malaise chez certaines personnes, par manque d'intégration, celles-ci ne pouvant se reconnaître dans aucune culture. L'Internet joue un rôle ambivalent, il est d'un côté un accélérateur de la disparition des langues, par l'uniformisation des moyens de communications. Mais il est aussi un moyen de préserver ces langues, par l'établissement de communautés parlant des langues traditionnelles.

Qu’en est-il chez nous au Canada et au Québec ?

Maîtriser une langue, c’est la clé du succès! Tout gouvernement d’un pays en comprend l’importance. C’est pourquoi le gouvernement du Canada (comme une majorité de gouvernements au niveau international), en collaboration avec les gouvernements provinciaux, les conseils et les commissions scolaires, les collèges communautaires, les organisations communautaires et celles d’aide aux immigrants, offre des cours de langue gratuits dans tout le pays à l’intention des résidents permanents adultes. Dans la plupart des provinces, le programme de formation s’appelle CLIC, c’est-à-dire Cours de langue pour les immigrants au Canada.

Au Québec, nous savons tous l’importance qu’a la langue française dans le continent Nord-Américain à majorité anglophone. La Charte de la langue française du Québec protège et promeut cette langue distincte, expression d’une société distincte. Langue distinctive d'un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d'exprimer son identité. L'Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française.

Pensons à la belle chanson d’Yves Duteil sur la Langue de chez nous :

C'est une langue belle avec des mots superbes

Qui porte son histoire à travers ses accents

Où l'on sent la musique et le parfum des herbes

Le fromage de chèvre et le pain de froment

C'est une langue belle à qui sait la défendre

Elle offre des trésors de richesse infinie

Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre

Et la force qu'il faut pour vivre en harmonie

La Charte de la langue française du Québec est donc résolue à faire du français la langue de l'État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires. L'Assemblée nationale entend poursuivre cet objectif dans un esprit de justice et d'ouverture, dans le respect des institutions de la communauté québécoise d'expression anglaise et celui des minorités ethniques, dont elle reconnaît l'apport précieux au développement du Québec. L'Assemblée nationale reconnaît aux Amérindiens et aux Inuit du Québec, descendants des premiers habitants du pays, le droit de maintenir et de développer leur langue et leur culture d'origine. Ces principes s'inscrivent dans le mouvement universel de revalorisation des cultures nationales qui confère à chaque peuple l'obligation d'apporter une contribution particulière à la communauté internationale.

La date du 21 février 2008, neuvième édition de la Journée internationale de la langue maternelle, revêtira dans ce contexte une importance toute particulière, et constituera une échéance propice au lancement d’initiatives pour la promotion des langues.

L’Année internationale des langues 2008 constituera une occasion unique pour avancer de manière décisive dans la réalisation de ces objectifs.

 

Michel Fortin, M.Afr.

 

* Ce texte s’inspire de l’Assemblée générale de l’ONU (96e séance plénière AG/10592, le 16 mai 2007) proclamant 2008 Année internationale des langues et du Directeur général de l’Unesco, Mr.Koïchiro Matsuura.


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