Africana Plus

No 51 Septembre 2002.4



Journée mondiale de la Jeunesse 2002
Entre les promesses et la réalité


 

Du 18 au 28 juillet dernier se tenait à Toronto et dans diverses régions du Canada, la 17ème Journée Mondiale de la Jeunesse (JMJ). Cet événement qui rassemble, tous les 2 ans, des jeunes chrétiens de plus de 150 pays a été l’occasion d’une rencontre exceptionnelle à Toronto entre les jeunes pèlerins et le Pape Jean-Paul II. Avant ce grand événement dans la ville reine, les participants se sont rendus en divers endroits du Canada pour y être accueillis par des familles et des Églises locales qui voulaient leur faire découvrir les réalités de leur coin de pays. En échange, les visiteurs leur ont partagé l’expression de leur foi en même temps qu’ils ont pu leur faire connaître les habitudes de vie de leur propre pays. Mais c’est lors du rassemblement de Toronto que les jeunes pèlerins ont pu manifester leur croyance et leurs convictions dans la joie et l’allégresse. Durant toute une semaine, ils se sont regroupés pour prendre part à d’importantes activités, telles que des catéchèses, des célébrations de prières et des événements où ils ont pu exprimer leur foi dans leurs coutumes. Le tout fut finalement couronné par une messe célébrée par J-P II lui-même. Celui-ci a invité les jeunes pèlerins à être " le sel de la terre et la lumière du monde ".

Pour nous Missionnaires d’Afrique œuvrant au Centre Afrika à Montréal, cet événement se voulait une occasion privilégiée d’accueillir de jeunes africains durant 4 jours afin de leur faire découvrir et connaître le visage de notre ville, et ainsi avoir la possibilité de développer des amitiés nouvelles. Avec l’aide d’Africains fréquentant le Centre Afrika, de différents intervenants et d'animateurs de pastorale de notre secteur, nous avions mis sur pied toute une programmation d’activités facilitant des rencontres personnelles, des temps de prières et des visites de lieux ciblés. Nous étions prêts à accueillir ces jeunes, nous avions le goût de fraterniser et de marcher avec eux.

Quelques jours précédant le début de la JMJ, nous avons appris que de nombreux jeunes Africains qui devaient venir à Montréal n’avaient pas reçu de visas du gouvernement canadien. Pourtant, ils s’étaient inscrits officiellement et avaient suivi toutes les démarches nécessaires pour venir: inscription auprès du Conseil pontifical pour les laïcs, préparatifs de voyage sous la responsabilité d’un groupe établi dans leur pays, démarche auprès du bureau national de la JMJ. Mais les embûches ne manquaient pas : ce que les ambassades canadiennes en Afrique exigeaient en matière de documents étaient irréaliste. Demander de démontrer leur situation financière (relevés bancaires, bulletins de paie, preuves de placement, etc.) à de jeunes cultivateurs (80% de la population est paysanne) vivant dans la pauvreté est une façon subtile de refuser leur admissibilité : ils n'ont jamais eu de paie ou de compte bancaire. De nombreux jeunes Africains (des Maliens entre autres) ont baissé les bras devant de telles exigences et n'ont pas demandé de visas. D'autres ont tout de même essayé. Comme les dizaines de milliers de jeunes provenant des autres continents, ils avaient suivi les procédures normales. Ces jeunes Africains, remplis de foi et d’espérance, avaient préparé leur cœur pour participer à ce qui allait être une des plus enrichissantes expériences de fraternité et de solidarité de leur vie.

Selon le Journal de Québec du 30 juillet dernier, sur 26 000 demandes de visa, environ 6 000 ont été rejetées. Des centaines de celles-ci provenaient de jeunes Africains. Voici quelques chiffres, glanés à gauche et à droite, qui soulignent ces refus : plus de 300 Ougandais, 200 Congolais, 156 Burundais, 60 Guinéens, 12 du Sierra Leone, et un certain nombre de Togolais, Camerounais et Béninois, etc. Au sujet des Guinéens et Béninois, il est intéressant de noter que plusieurs prêtres et un certain nombre de religieuses, qui avaient obtenu leurs visas, ont dénoncé ces décisions des ambassades canadiennes en refusant de venir au Canada, cela en solidarité avec leurs jeunes compatriotes non acceptés.

Pour nous qui connaissons cette jeunesse africaine, cela pose de sérieuses questions. Nous cherchons à comprendre. Pourquoi ces centaines de jeunes Africains ont été marginalisés et exclus d’un événement dont le but est de permettre à des personnes de cultures différentes de venir partager leur foi, de construire la fraternité entre les peuples, de favoriser le rapprochement interculturel et d’instaurer une culture de la paix pour notre monde qui en a tant besoin?

Pourquoi l’Afrique est-elle une fois de plus abandonnée à son sort? Pourtant lors du dernier sommet du G-8, et durant les semaines qui ont précédé la rencontre des grands de ce monde, notre premier ministre Jean Chrétien a utilisé toutes les tribunes qui lui étaient offertes pour faire valoir son intérêt particulier pour ce continent oublié. M. Chrétien s’était engagé personnellement ainsi qu’au nom de son gouvernement à faire tout en son pouvoir pour sortir le continent africain de son isolement et de son exclusion. Il avait lancé un vibrant appel aux Canadiens et au reste du monde pour que l’Afrique puisse prendre part au grand banquet de la mondialisation, pour que l’Afrique soit au cœur de leur agenda, parce qu'ils ont une responsabilité face aux africains. Ce sont des paroles qui vont parfaitement dans le sens des politiques canadiennes à l’égard du multi-culturalisme. Le Canada est, et à toujours été le modèle d’une nation ouverte à sa diversité et aux richesses qui en découlent. C’est également la perception qu’ont les immigrants et les nouveaux arrivants. Par le passé, le Canada s’est construit au sein même de la communauté internationale une image d’ouverture et de chef de file dans les questions liées aux relations et au dialogue entre les peuples. En ce sens, la position du premier ministre Chrétien n’avait rien de nouveau.

Cependant ce qui semble nouveau, c’est que les bonnes actions ne semblent pas suivre ces paroles du premier ministre. Dans le cas de la JMJ de Toronto, tout porte à croire que les raisons qui ont justifié les refus de visas canadiens pour les jeunes pèlerins africains soient liées au fait que certains d’entre eux qui fuient la réalité de leur pays victimes de guerre, de pauvreté et d'instabilité politique, pourraient décider de ne plus retourner dans leur pays respectif. Quelques uns d'entre eux ont décidé de rester au Canada : de fait 90 jeunes Ougandais ont décidé de demander le statut de réfugiés (CISA :Catholic Information Service Africa, 20 août 2002). Ils demeurent cependant l'exception qui confirme la règle. Les fonctionnaires qui se sont penchés sur les demandes de visas d’entrée de ces jeunes n’ont pas voulu croire que la majorité de ceux-ci voulaient simplement nous ouvrir leur cœur et partager avec nous leurs joies, leurs espérances, leurs souffrances. Ces fonctionnaires ont préféré penser que les véritables motifs de leur venue à la JMJ était une fuite vers un monde meilleur, le Canada. Ils ont cru que l'ensemble de ces jeunes venaient avec la seule intention de mentir aux autorités canadiennes et de disparaître dans la nature le moment venu. Ils ont peut être eu raison de croire qu’un certain nombre de jeunes Africains rêvent justement de vivre dans un pays en paix, un lieu où l’on peut se construire un avenir. N’est-il pas légitime de le croire?

Par contre, est-ce normal de se laisser gagner par cette peur de l’étranger qu'ont développé les Occidentaux depuis les attentats du 11 septembre? Est-ce normal de toujours laisser le doute s’installer au point de ne plus avoir confiance dans ces jeunes qui représentent la plus belle espérance pour notre monde? Pour ce monde où l’on voit de plus en plus de corruption et de malversations de la part des dirigeants politiques et économiques. Qui d’autres que ces jeunes peuvent permettre au monde d’espérer devenir meilleur? Cette jeunesse africaine comme toutes les autres jeunesses de la planète refuse de vivre dans l’injustice et la guerre. Durant la JMJ à Toronto, les jeunes Africains voulaient, comme tous les autres provenant de partout dans le monde, manifester leur joie et avoir la possibilité de vivre une expérience de foi et de fraternité avec les jeunes du monde entier. Une expérience qui construit aujourd’hui, le monde de demain. Il aura fallu que quelques personnes leur disent non pour que leur rêve soit brisé.

Nous sommes parfois pessimistes voire même découragés devant les situations désolantes que nous présentent au quotidien les différents médias. Les nouvelles qui nous parviennent d’un peu partout dans le monde ne sont pas bonnes: il y a la guerre qui est présente dans plus de 50 pays; l’interminable sécheresse de pays africains dont c’est le 2ème ou 3ème épisode en moins de 20 ans, entraînant famine, maladie, mortalité; le terrorisme des uns qui engendre la vengeance des autres; les scandales financiers où des entreprises qui sont le fondement et la base même de l’establishment économique des pays occidentaux, s’effondrent comme des châteaux de cartes parce que des dirigeants ont détourné des milliards de dollars…Pendant ce temps-là, devant les nombreuses menaces et les actes terroristes, les représentants politiques dépensent des sommes faramineuses pour l’armement, la défense intérieure, la sécurité face à des attaques terroristes qui n’arriveront peut être pas. Pour se protéger, ils inventent de nouvelles règles d'immigration car ils veulent ainsi empêcher les éventuels fraudeurs de venir dans leurs pays… Ne devraient-ils pas investir davantage dans l’implantation de structures d’accueil pour les étrangers qui ne souhaitent rien de plus que de partager avec eux ce qui fait notre plus grande richesse: notre humanité réciproque?

Notre monde est un monde en fuite. Nous ne savons plus dans quelle direction nous allons. Pourtant on n’a pas à faire une grande relecture pour comprendre que la seule voie d’avenir est de travailler ensemble à développer une culture de la paix qui se construit en faisant preuve de courage et d’audace, en osant dire les choses comme elles sont. Pendant que les démunis crient leur désarroi devant les injustices de notre monde, nous les regardons de façon méprisante. " Ceux-ci ne veulent pas travailler, ceux-là sont des terroristes, les autres là-bas se font la guerre ". La vérité, c’est que nous ne connaissons pas nos voisins et nous ne voulons pas faire un pas vers eux pour découvrir ce qu’ils vivent. Seulement, le jour où quelqu’un voudra partager ce qui est dans notre assiette, peut être que là nous réagirons différemment et nous dirons que notre monde a besoin de paix. Peut être comprendrons-nous mieux le cri de ceux qui sont exclus et marginaux.

En Afrique, il y a un adage qui dit que nous devenons ce que nos ancêtres ont été avant nous. Quel monde voulons-nous léguer à ceux qui viendront après nous? J’entends encore ces chants d’espérance que les jeunes ont lancé au monde entier. Ils veulent construire un monde de paix. C’est le message qu’ils ont envoyé lors du grand rassemblement de la JMJ de Toronto. Dommage pour nos frères et sœurs africains. Ils s’étaient pourtant bien préparés à venir nous rencontrer. Ils souhaitaient nous partager leur dynamisme et leurs rythmes enivrants. Ils voulaient nous partager leur beauté et leur richesse. Un peu comme ils le font lors de nos festivals annuels où ils nous font rêver et nous libèrent de notre quotidien. Mais en refusant d’accueillir ces centaines de jeunes africains, nos dirigeants donnent l’impression au reste du monde que ces africains ne sont finalement que des spectateurs dans la grande pièce de théâtre de la mondialisation.

 

Jean-François Bégin du Centre Afrika

et Michel Fortin, M.Afr., du Centre de Documentation Africaine

31 juillet 2002


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