Africana Plus

No 12 Septembre 1995.6



Pékin

Conférence de l'ONU sur les femmes


La 4e Conférence de l'ONU sur les femmes et le Forum des organismes non-gouvernementaux se tiennent actuellement à Pékin, en Chine. Plus de 35 000 femmes provenant de 175 pays prennent le temps de s'arrêter et de réfléchir sur la possibilité d'un plus-vie pour notre monde. Elles y discutent des conditions politiques, économiques, sociales et même religieuses d'aujourd'hui qui parfois étouffent la vie.

Les femmes forment la moitié de l'humanité. Cependant, si nous entrons dans les bureaux gouvernementaux ou dans ceux des Églises, là où se prennent les décisions, quelques petites surprises nous y attendent. Les femmes y font exception tandis que les hommes y sont majoritaires. Cela est certes vrai pour les pays riches et à plus forte raison pour les pays dits du tiers monde. Devant cette situation d'injustice qui saute aux yeux, il est facile de saisir la vague d'espérance que la Conférence et le Forum de Pékin ont éveillé chez nous, femmes du monde entier.

Nous, Soeurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique (SMNDA), sommes touchées tout particulièrement par cette situation. En tant que femmes, nous subissons l'injustice faite à nos soeurs, et parfois nous l'expérimentons nous-mêmes. Nous ressentons comme nôtres les situations terribles de beaucoup de femmes, spécialement des Africaines, puisque nous oeuvrons en Afrique depuis 125 ans.

Tout ce qui empêche la vie, tout ce qui l'entrave ou l'emprisonne, est ressenti comme un appel continuel à nous engager avec nos soeurs dans leurs efforts pour que justice soit faite, pour que de meilleures conditions de vie émergent. Il ne faut jamais s'habituer à tolérer l'intolérable. Le cardinal Lavigerie, fondateur des Missionnaires d'Afrique (Soeurs Blanches et Pères Blancs), a lutté toute sa vie contre l'esclavage à son l'époque. Il disait: Je suis un homme et l'injustice envers les autres personnes révolte mon coeur; je suis un homme et l'oppression indigne ma nature. Nous, filles de Lavigerie, nous partageons cette révolte et cette indignation.

La conférence mondiale de Pékin et le Forum des organismes non-gouvernementaux de femmes ont montré du doigt, encore une fois, que ce sont les politiques économiques qui appauvrissent le tiers monde et plus particulièrement les femmes africaines et leurs enfants. Nous en sommes des témoins convaincues. Nous nous interrogeons cependant: durant toutes ces années, dans notre marche commune, avons-nous assez tenu compte de l'impact économique et politique sur leur vie sociale et religieuse, tolérant ainsi l'intolérable?

Les participantes à la Conférence représentaient les femmes bâillonnées de l'univers. Elles parlaient de non-violence, de marche en avant et du risque de faire face. Elles nous disaient que la force de chaque femme, qu'elle soit du Nord ou du Sud, réside dans sa capacité de donner la vie sous toutes ses formes.

Ces femmes muselées nous criaient qu'elles voulaient être reconnues. Ces femmes, ce sont:
- Immaculata, 15 ans, vendue par son père à un vieux et riche commerçant pour quelques dollars. Elle sera la 4e femme de cet homme. Elle ne peut rien dire.
- Restina, mariée depuis 5 ans, ne pouvant avoir d'enfants, doit accepter une seconde épouse à la maison. Elle ne peut rien dire.
- Josépha, professeur de 40 ans, veuve, perd tous les biens accumulés avec son mari car il n'avait pas fait de testament. Elle recourt au tribunal traditionnel. Elle perd son procès. Elle ne peut rien dire.
- Maria ne peut pas être chef de communauté chrétienne de base parce qu'elle est femme. Au sujet de cette responsabilité, elle ne peut rien dire.
- Beata du Soudan, Amina du Mali et Elfrida d'Égypte doivent subir l'excision. Expérimentant dans leur chair une telle cruauté, elles ne peuvent rien dire.

Au même moment, d'autres femmes enlèvent peu à peu le bâillon:

- Katarina prend en charge les conditions de santé de son village. Avec d'autres femmes, elle mobilise les chefs de villages, les leaders religieux et les responsables gouvernementaux.
- Olga et des milliers d'autres femmes se sont regroupées pour discuter de leurs problèmes et chercher des solutions. Unies, elles se sentent plus fortes et plus confiantes. Elles veulent briser les modèles de femmes objets, de femmes soumises à leur mari, de femmes inférieures.
- Myriam et des milliers d'autres jeunes filles rêvent d'égalité car elles suivent la même formation que les garçons à l'école. Elles auront ainsi des chances égales dans la société de demain.
- Malika, femme algérienne musulmane, écrit à une religieuse missionnaire: Je ne serais pas ce que je suis si je ne vous avais pas rencontrée un jour. Le plus-vie que vous m'avez donné m'aide à espérer contre toute espérance dans le chaos que vit mon pays aujourd'hui.

Nous, Soeurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique, sommes très concernées par les résultats de cette Conférence de l'ONU à Pékin. Dès le point de départ, nous avons senti une note d'espérance qui se dégageait de cette assemblée où les femmes parlaient pour elles-mêmes.

Nous croyons que le partage du vrai pouvoir entre les femmes et les hommes sera un des plus grands facteurs de changement dans le monde de demain.
Nous disons ici notre espérance:
- sachant que les femmes soutiennent déjà les trois quarts de l'économie de subsistance en Afrique, nous souhaitons qu'elles soient de plus en plus conscientes du rôle qu'elles jouent dans leur société et qu'elles exigent la reconnaissance de ce rôle.
- sachant que les femmes sont, en général, plus soucieuses de justice, de tolérance, de paix et de solidarité, nous souhaitons que les acquis de la Charte des droits humains ne leur soient pas enlevés.
- sachant que le fardeau constant et croissant de la pauvreté organisée pèse davantage sur la femme que sur l'homme, nous souhaitons que l'inégalité disparaisse de plus en plus entre pays riches, dont nous sommes au Canada, et pays pauvres.
- sachant qu'en général le SIDA fait davantage de victimes chez les femmes africaines à cause de leur subordination et de leur peu d'accès à la scolarité, nous souhaitons qu'un plus grand effort de conscientisation soit fait par les communautés nationales et internationales pour enrayer ce fléau.

En tant que SMNDA, femmes, religieuses et missionnaires, vivant en communautés internationales, nous avons une place privilégiée pour influencer les valeurs, les structures et l'ouverture au monde d'ici et d'ailleurs. La promotion de la femme a toujours été au centre de notre mission au coeur de l'Afrique. Nous savions qu'éduquer une femme, c'est éduquer un peuple. Cette promotion est en train de devenir la tâche prioritaire de notre planète. Et elle va de pair avec la promotion de l'homme.

Nous constatons qu'il nous reste un long chemin à parcourir avant de percevoir toutes les implications d'un féminisme vrai et constructif sur un plus-vie au sein des Églises et de l'humanité. Bien sûr, ceci ne se fera pas sans la collaboration des hommes de bonne volonté.

C'est un processus permanent dans lequel nous entrons avec enthousiasme et espérance, car notre Dieu est le Dieu de la Vie.

Les Soeurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique
par Gaby Lepage, smnda


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