Africana Plus  

No 87 Novembre 2009.5



Le potentiel de la femme pour la construction
d'une Afrique juste, pacifiée et réconciliée


En proposant comme thème « La réconciliation, la justice et la paix », le 2e Synode africain entend poursuivre sa réflexion sur l'engagement de l'Église à servir la société; service considéré comme une dimension de l’annonce de l’Évangile, « Sel de la terre et lumière du monde ».(Mtt 5, 13-14). L’Église veut surtout adresser une parole d’espérance et de réconfort à tous.

J'ai choisi pour ma part d'écouter cette parole à partir du potentiel de la femme. J'approfondirai en premier lieu la question de la femme en Afrique. Le féminin en Afrique n'habite pas les espaces publics et les sommets, mais les sources, les intimités, les cœurs. Quel nouveau visage peut-elle donner à la paix et à la réconciliation? Je proposerai à l'Église d'Afrique cinq fondamentaux pour construire la justice, bâtir la paix afin de réconcilier ses enfants.

Continuer la vie dans des actions concrètes

L'objectif de tout engagement concret pour la justice en Afrique est sans doute de faire pencher en faveur de la personne les programmes des organisations multinationales et des grandes agences humanitaires ou caritatives. Mais aussi et surtout le partage équitable des biens dont regorge ce continent. La justice est dans ce sens le trésor commun de tous les humains parce qu'elle est au service de la vie.

Tenter de redéfinir les paramètres de la réconciliation signifie adopter une approche de la paix et de la sécurité basée sur la continuité de la vie. Or, la femme donne la vie et en prend soin. Elle est donc la mieux placée pour en savoir la valeur et mieux la préserver. Si la guerre est souvent l'affaire des hommes, la paix est plutôt celle des femmes. Bien sûr, ce n'est pas toujours le cas, mais l'expérience montre que, par la discussion et la médiation, des femmes appartenant à des groupes rivaux trouvent plus facilement un terrain d'entente et de réconciliation.

Dans la vie quotidienne, les femmes sont habituées à instaurer la paix et à régler les conflits avec leurs enfants (et leur maris), ce qui leur donne peu de temps pour s'occuper d'elles-mêmes. Fortes de cette expérience, elles peuvent faire valoir leur influence d'épouses et faire régner l'intégrité et la respectabilité dans leur foyer. Elles sont également en mesure d'associer leurs frères et sœurs au mouvement de la paix en organisant des campagnes de sensibilisation. Quelques exemples positifs montrent combien les femmes participent activement aux mouvements en faveur de la vie.

Après le génocide au Rwanda, les femmes ont été les premières à s'entraider et à oser partager leurs terribles expériences. Tout commence par-là. Il faut oser en parler. Plus tard, quand les femmes réfugiées hutus sont rentrées des camps, des associations de femmes ont organisé sur le champ un accueil spontané en signe de solidarité sans considération d'ethnie, ce qui n'exclut évidemment pas que des haines subsistent. Mais ces actions positives ont montré qu'il est possible de vivre ensemble et de construire l'avenir. Ces femmes ont bien compris l'importance vitale de leur rôle social dans une société traumatisée par la guerre, la division et le génocide. Les petites actions entreprises un peu partout leur ont permis de sentir la douleur de l'autre et de se lever pour réparer les pots cassés par le conflit opposant leurs maris, leurs fils ou leurs frères. Entre femmes, il existe un degré de compréhension mutuelle que les hommes ne peuvent atteindre naturellement.

Mener une politique typiquement féminine veut dire: promouvoir la paix et régler les conflits d'une manière différente de celle des hommes. Autrement dit, c'est faire le choix de moyens autres que la violence et la guerre pour régler les conflits, et ainsi faire progresser en profondeur les valeurs positives. Les opérations de maintien de la paix seraient peut-être plus efficaces si les femmes y étaient davantage impliquées. Chez elles, les relations humaines sont absolument prioritaires. En ce qui concerne les femmes, la situation de déshumanisation et d'oppression qui afflige notre continent n'est pas irréversible. Bien au contraire, elle invite à la conversion du cœur et à la compassion.

Cinq fondamentaux pour la justice, la paix et la réconciliation en Afrique

En Afrique, la pacification des cœurs (paix), l'ajustement des relations aux autres et aux biens (justice) et la restauration des liens rompus (réconciliation) exigent des attitudes et des comportements qui reflètent et favorisent la convivialité et le partage. L'action des femmes en Afrique en vue d'atteindre cet objectif peut être envisagée selon cinq fondamentaux.

Le don de la vie et la cohésion familiale

Dans le prolongement de son charisme du don de la vie, la femme peut jouer un grand rôle non seulement dans la naissance d'une culture de la paix, mais aussi dans son développement. Elle est à même d'exercer la réconciliation par l'écoute, le soutien et sa « capacité de l'autre ». Ce don est en harmonie avec son sens de la famille qui, en tant que cellule fondamentale de la société, constitue l'un des trésors les plus chéris en Afrique. La famille a été et demeure un laboratoire de valeurs humaines et civiles, un foyer dans lequel la vie humaine naît et où elle est accueillie de manière généreuse et responsable. Elle est irremplaçable pour la sérénité, personnelle et pour l'éducation à la vie. La femme au foyer possède un grand sens du droit des faibles et réussit à le faire valoir. Elle est capable de rétablir les relations, afin qu'elles soient équitables pour tous.

La mission de penser

Le premier synode avait insisté sur la formation des fidèles laïcs. Il s'agit de poursuivre dans cette lancée et susciter des espaces non seulement d'apprentissage, mais surtout de réflexion et de prise de parole. De plus en plus de fidèles n'hésitent plus à dire ce qu'ils pensent de la vie de leur Église. Ils disposent désormais d'éléments de réflexion sur les enjeux théologiques et pastoraux. C'est le, fruit de leur formation. L'Église actuelle ne peut revenir à un modèle monolithique où l'obéissance serait vécue comme une règle absolue, où on n'aurait pas le droit d'exprimer son opinion, voire son incompréhension. Pas de renouveau du continent sans le courage de penser! Pour vivre et agir autrement en Afrique, il importe d'avoir l'audace d'une pensée créatrice, innovatrice, provocatrice. La prochaine Assemblée devrait se définir comme un synode des fidèles laïcs, car c'est à travers eux que l'Église se veut présente au cœur du monde pour penser et agir conformément à l'Évangile.

Une Église-Communion pour vivre la foi

Aujourd'hui encore, nous savons que le développement de la foi et l'exercice du ministère de l'Église seraient considérablement amoindris sans le dévouement, la générosité et la joie que des femmes apportent dans les écoles, les dispensaires, les paroisses, les Communautés Ecclésiales de Bases (CEB) et les autres champs d'apostolat. Cela vaut surtout pour l'apport des femmes, laïques et religieuses, parmi les pauvres, en milieu urbain ou rural, souvent dans des situations très difficiles et pleines de défis. En effet, « la réponse aux défis de la réconciliation, de la justice et de la paix par la proximité semble mieux relever des dons de la femme. C'est aussi et en grande partie par elle et avec elle, comme première collaboratrice dans la mission d'évangélisation, que nous devons chercher de nouvelles réponses aux souffrances de nos sociétés africaines» (Instrumentum laboris, No 114-117)

Les femmes peuvent créer, à partir de leur propre identité, de nouveaux espaces pour partager la vie. Elles proposent une Église-Communion où la communion ecclésiale est réellement vécue. Une Église « hors les murs », active au cœur de la cité, suivant le modèle des Églises domestiques des origines et répondant aux besoins immenses de notre Afrique. L'Église et sa tradition, ses rituels et ses structures hiérarchiques, pourraient être repensés en termes de « tables-rondes » ou de « tables d'hospitalité », ouvertes aux marginalisés et aux défavorisés. Pour ce faire, il faudrait augmenter la représentation des femmes dans ses organes décisionnaires. Concrètement, je souhaite par exemple que chaque Conférence épiscopale en Afrique s'engage à ce que 30% des membres des conseils pastoraux paroissiaux soient des femmes.

L'ère du cœur de la femme

En ce moment où l'Afrique connaît une si profonde mutation, les femmes imprégnées de l'esprit de l'Évangile peuvent être actrices de justice, de paix et de réconciliation. Notre continent, dominé par la violence, a besoin de plus de cœur afin que toute personne puisse y vivre sans se déshumaniser. Que s'ouvre enfin pour l'Église qui est en Afrique une ère de la femme, c'est-à-dire une ère du cœur, de la compassion. La femme peut contribuer à sauver notre société de certains maux profondément enracinés qui la menacent: la violence, la volonté de puissance, le mépris de la vie, les guerres... Elle est l'espérance d'un monde plus humain. Car elle a la capacité de lier au quotidien l'immense combat de la mort et de la vie avec les petites et les grandes batailles de sa vie de femme.

Le quotidien, c'est le combat pour vivre, voire survivre au jour le jour, le combat pour faire la cuisine, pour piler le manioc, le mil, pour laver les enfants et le linge, pour échanger des gestes d'amour, pour trouver un sens immédiat à la vie. Le quotidien, c'est le monde domestique, le monde des relations brèves et plus directes, parfois capables de changer les relations plus larges et profondes. Le quotidien c'est la routine, les habitudes de chaque jour. Le quotidien c'est enfin toutes ces crises politiques sur fond de violence, de l'insécurité généralisée des hommes et des biens, de mal-développement économique avec ses grappes de chômeurs, d'affamés, de sans-abri, etc.

Lorsque nos paix foirent, que nos trêves faiblissent, quand nous ne savons plus comment nous y prendre, vainqueurs ou vaincus, impuissants souvent, la femme sait que la vie est toujours présente. Elle est une force pour la paix et la réconciliation et doit être mieux intégrée dans les processus de paix. Elle a un rôle décisif dans la promotion de la tolérance et de la non-violence, car elle est la première école de vie.

 

Sr Anne Béatrice Faye

Sœur de Notre Dame de

l’Immaculée Conception de Castres

(Extraits d’un article paru dans la revue Spiritus

No 196, Septembre 2009)

 

N.B. :

La Sœur Anne Béatrice Faye est sénégalaise et religieuse de Notre Dame de l'Immaculée Conception de Castres. Docteur en Philosophie (2005), elle fut professeur dans son pays et responsable provinciale de sa congrégation de 2003 à 2008. Elle est actuellement conseillère générale à Rome.


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