No 29 Mars 1998.3
Canada
Recensement Canada 1996 nous dit que s'il y avait 4 945 Africains au Canada avant 1961, il y en a maintenant 229 300. En ajoutant les noirs des Caraïbes, des Bermudes ou d'ailleurs dont les origines sont africaines, on parle de 575 000 noirs au Canada.
Pour ce qui est des Africains proprement dit, on en dénombre, selon Immigration Canada, 115 810 en Ontario, dont 100 000 à Toronto, et 62 510 au Québec, dont 50 000 à Montréal.
Si on devait parler des États-Unis, on parlerait de millions d' "African Americans".
L'Afrique ne se limite donc plus à sa seule dimension continentale, mais aussi aux Africains qui sont à l'intérieur de notre pays, de notre province ou de notre ville. Ces Africains veulent s'insérer dans notre société nord-américaine et ils désirent y trouver leur place. Ce ne sont pas des ignares et des mendiants. Au contraire: bon nombre d'entre eux ont une éducation supérieure à la moyenne et cherchent à contribuer au bien-être de notre société canadienne. Ils veulent être partie prenante de notre avenir, tant sur le plan humain que chrétien.
C'est pour cela qu'ils interrogent la population, et plus spécialement la Société des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs). Ils nous questionnent et ils nous "dérangent" sensiblement. Comment pouvons-nous les aider à nous aider ?
Notre Société missionnaire affirme avec force que nous sommes au service de nos soeurs et de nos frères africains où qu'ils se trouvent, en tenant compte des éléments suivants : implantation de l'Évangile, inculturation du message, promotion de la justice, et donc de l'engagement pour les droits de l'homme, développement du dialogue interreligieux et interculturel, et, pour les Pères Blancs en particulier, avec l'Islam.
Comment percevons-nous notre mission aujourd'hui ? Allons-nous oeuvrer auprès des Africains du Canada comme nous le faisions avec ceux d'Afrique ? L'évangélisation de nos frères et soeurs a-t-elle évolué depuis quelques décennies ?
Durant toute une époque, l'évangélisation, vécue dans nos pays occidentaux, était conçue comme de la propagande. Cela faisait partie de tout un contexte où la Congrégation de la propagande (à Rome) était directement responsable de la Mission. La Mission était perçue comme une implantation de l'Église. La Congrégation mandatait les instituts missionnaires vers des territoires précis. Alors les membres de ces instituts sensibilisaient les gens de leurs pays respectifs aux besoins de cette mission "ad extra" qui leur était confiée. Issus du monde occidental chrétien, les missionnaires, gardiens de la vérité apostolique et porteurs du trésor évangélique, allaient propager le contenu de la Révélation divine en terre étrangère. Ces apôtres volaient au secours, tant matériel que spirituel, des populations du tiers-monde.
Avec le concile Vatican ll, une certaine évolution s'est faite dans la conception missionnaire. En Occident, l'évangélisation était alors vécue en terme d'animation. La Mission est devenue la responsabilité de toute l'Église, en particulier des conférences épiscopales. L'animation consistait à sensibiliser l'ensemble du Peuple de Dieu à sa responsabilité missionnaire. Jean-Paul ll l'a bien dit dans une encyclique : La mission concerne tout le peuple de Dieu... La nécessité pour les fidèles de partager une telle responsabilité n'est pas seulement une question d'efficacité apostolique : c'est un devoir et un droit fondés sur la dignité conférée par le baptême... (Redemptoris Missio, no.71).
De propagandistes, les missionnaires devinrent des animateurs. L'évangélisation consistait alors à faire éclore chez les chrétiens, l'esprit missionnaire qui "dort" dans le coeur de son peuple. Détenteurs de la théologie chrétienne, ils permettaient à l'Esprit d'animer l'être humain dans sa convergence vers le Royaume de Dieu.
Aujourd'hui, il semble qu'une autre vision de la mission soit en train de naître, que cette mission soit vécue ici ou ailleurs, en Amérique du Nord ou en Afrique. Dans ce nouveau contexte, il n'est plus question uniquement d'envoyer ou de recevoir, de donner ou d'obtenir comme si nous nous trouvions d'un côté et les autres de l'autre côté. Aujourd'hui, la mission se vit en terme de partage, de réciprocité, de partenariat et de dialogue.
Conscient que l'Esprit nous précède dans le monde, le missionnaire est appelé de plus en plus à faire percevoir la présence salvifique de Dieu dans le coeur des personnes. La mission est comprise comme une rencontre, une relation où l'apôtre propose un message spécifique : Jésus-Christ et l'avènement du Royaume. L'Église n'est-elle pas devenue elle-même signe de ce Royaume ? Et, pour nous, missionnaires d'Afrique au Canada, tout ce qui fait grandir la personne et favorise la rencontre des cultures va dans le sens actuel de cette évangélisation. C'est d'ailleurs pour cela qu'un Centre Afrika a été créé sur la rue St-Hubert à Montréal.
Cette conception de la mission, en terme de collaboration et de partenariat, suppose d'abord une conviction : la mission ne nous appartient pas : elle est déjà réalisée en Jésus-Christ. Sur la croix, le Christ révèle que "Tout est accompli" ; et Il remet le tout entre les mains du Père. La mission n'est plus celle de l'apôtre, mais celle du Maître qui a tout accompli. Par contre, si elle est déjà accomplie, elle n'est pas encore terminée. Suit la deuxième conviction : sauvés, tous les êtres humains sont porteurs de ferments évangéliques; ils sont déjà membres du Royaume de Dieu et, comme tels, ils sont porteurs du message chrétien. On ne parle plus ici de contenants vides qu'il faut remplir, mais de membres à part entière du Royaume de Dieu. Et, en tant qu'acteurs de ce Royaume, ils ont des valeurs "spirituelles" à partager. L'évangélisation ne se fait plus à sens unique.
Il y eut un temps où la mission se faisait du Nord au Sud : de l'Europe et de l'Amérique du Nord vers l'Asie, l'Afrique ou l'Amérique du Sud. Aujourd'hui, cette mission évoque plutôt un vaste réseau routier où la circulation se fait dans tous les sens : surtout si le territoire a changé et si les néophytes deviennent les nouveaux missionnaires. La mission devient alors rayonnement de la Bonne Nouvelle, d'un peuple à l'autre, et partage d'évangile entre les Églises des cinq continents. Dans cette optique nouvelle, notre fraternité, elle, se construit à l'image d'un échangeur aux voies multiples, destinés à faciliter la communication et la solidarité entre les différents peuples de ce grand village qu'est devenue notre planète. Le monde faisant partie du Royaume de Dieu, l'Église, enfouie dans le monde, met l'accent sur les petites communautés à taille humaine, l'option pour les pauvres, l'oecuménisme, le rôle du laïcat, l'engagement pour la justice et la paix. Elle est partie prenante de l'humanité, de ses problèmes et de ses espoirs.
Les missionnaires sont des serviteurs de l'Esprit, à son écoute dans le coeur de ses contemporains, surtout des opprimés. Ces pasteurs se laisseront donc évangéliser par les pauvres, d'ici ou d'ailleurs, convaincus que les "derniers sont les premiers" dans le Royaume des petits. Une bonne dose d'humilité, qui est la vérité, est nécessaire aux messagers de la Bonne Nouvelle. La Bonne Nouvelle étant que tout homme est déjà sauvé en Jésus-Christ et, dès lors, que l'évangélisation provient autant des brebis que des pasteurs.
Les missionnaires sont encore ce qu'ils ont toujours été, à savoir des chercheurs de Dieu dans les "terres inconnues" d'Afrique ou d'Amérique. Ils ne se découragent jamais, convaincus que Dieu est présent là où Il semblerait le plus absent : dans les coins les plus obscurs ou les plus perdus de l'être humain, si sombres soient-ils.
Les missionnaires sont enfin, à cause de cette foi même, des briseurs de frontières. Ils poussent toujours plus loin leur sortie dans le monde... vers l'autre, qu'il soit à Montréal, à New York ou à Kisangani ou à Tombouctou. L'ouverture est une des plus belles qualités des authentiques disciples de Jésus-Christ. Propagandistes, animateurs ou partenaires : il semble bien que Dieu écrive droit sur la courbe temporelle des serviteurs de l'évangile.
Quel sera le prochain nom que portera l'évangélisation ?
Qui sait ?
Une grande sainte indienne du XXième siècle, Mâ Ananda Moyî, disait : "Appelez Dieu par le nom que vous préférez. Au moment opportun, il vous révélera son vrai nom." Laissons l'Esprit nous dévoiler ce que sera celui de la mission de demain. Et, comme de vrais disciples, soyons à son écoute.
Michel Fortin, M.Afr.