No 42 octobre 2000.5
d'Afrique et d'ailleurs
Petits boureaux, petites victimes
On trouve actuellement quelque 300 000 jeunes de moins de 18 ans qui sont utilisés comme soldats dans une trentaine de zones de conflit à travers le monde. Enfants de la rue ou des campagnes, orphelins, réfugiés, sont les premiers candidats à la rafle forcée. La vie militaire est attrayante par ses armes, le prestige de l'uniforme et parfois par un petit salaire. Les milieux favorisés échappent encore à cet embrigadement. Ces enfants-soldats, qui sont de tous les conflits africains entre autres, ont commis des crimes atroces. Beaucoup d'entre eux ont vu leur famille se faire tuer et ont ensuite été forcés de commettre des atrocités semblables. Certains ne savent pas d'où ils viennent; beaucoup ne connaissent que leur nom militaire des sobriquets comme Rambo ou Killer Boy.
Et, la plupart du temps, ce sont des civils innocents, des femmes, des vieillards et des enfants, qui sont tués ou blessés par eux. Les chiffres sont consternants. Depuis 10 ans, 28 millions d'enfants ont participé activement à des combats armés. Durant ces conflits, 2 millions d'enfants ont été tués, il y a eu 1 million d'orphelins, et 6 millions d'enfants ont été blessés gravement ou handicapés. 10 millions vivront avec de graves traumatismes psychologiques.
Présentement, dans près de 50 pays, des millions d'enfants souffrent en raison de conflits armés ou des séquelles de ceux-ci. Ces enfants sont victimes d'agressions sexuelles ou encore, sont arrachés à leur domicile. Plus de 20 millions d'enfants sont déplacés à l'intérieur ou à l'extérieur de leur propre pays. Ce nombre représente plus de la moitié des personnes déplacées dans le monde.
Le manque de nourriture, d'hygiène et de soins médicaux éléments essentiels à la survie et à la croissance rend les enfants particulièrement vulnérables. La plupart de ces enfants vivent dans des milieux pauvres et marginalisés, où les conditions sanitaires sont très difficiles et dangereusement malsaines. De profondes cicatrices psychologiques ou des traumatismes durables les affligent. Chaque mois, environ 800 enfants sont tués ou mutilés par des mines terrestres.
Cela doit absolument cesser. Depuis le Sommet mondial pour les enfants, qui a eu lieu en 1990, les Nations Unies, plusieurs pays (dont le Canada) et des organisations non gouvernementales s'efforcent d'attirer l'attention de la communauté internationale sur les terribles souffrances vécues par les enfants touchés par les conflits armés. Plusieurs initiatives ayant pour objectif d'aider les enfants à se remettre des blessures physiques et psychologiques résultant de la guerre ont eu lieu ces dernières années. Pensons à la Conférence sur les enfants touchés par la guerre en Afrique de l'Ouest, dont le Ghana et la Canada ont été les hôtes en avril 2000 et à la première Conférence internationale sur les enfants touchés par la guerre qui a eu lieu à Winnipeg du 10 au 17 septembre 2000. Voilà ce que nous révèle à ce sujet le dernier numéro du magazine Regard sur le monde publié à Ottawa (N0 9, Automne 2000). "Protéger les enfants du mal et de la souffrance est un des instincts humains fondamentaux. Les enfants représentent notre avenir; le désir de les mettre à l'abri des nombreuses forces susceptibles d'anéantir leurs espoirs et leur innocence est universel. L'action en ce sens constitue un volet essentiel de notre aspiration plus large à la promotion de la sécurité humaine et de la mise en place de sociétés stables et pacifiques." (Le ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, Accra (Ghana), avril 2000)
"Laissez donc venir à moi les petits enfants". Paroles célèbres d'un maître à vivre tout aussi célèbre. Pourtant malgré vingt siècles de christianisme, on est effrayé de constater combien de millions d'enfants sont, dans le monde, les victimes innocentes de la folie ou du désintérêt des adultes. Des faits, en voici:
- Une personne sur trois qui meurt dans le monde est un enfant de moins de trois ans.
- 1,5 million d'enfants sont infectés par le Sida. En Tanzanie, 25% des enfants hospitalisés sont séro-positifs.
- 20.000 enfants sont exploités au Sénégal par des maîtres d'écoles coraniques qui les transforment en mendiants à leur profit.
- 2 millions vendent leur corps fragile dans ce tourisme odieux pour un bol de riz ou un peu de drogue.
- À Abidjan, au marché des "petites bonnes", la matrone peut vendre une fillette de 5 ou 8 ans pour $5 (25 F) : elles seraient 800 000 ! souvent maltraitées ensuite, ou victimes d'un patron qui en abuse.
- 200 millions d'enfants de 5 à 15 ans (dont 2 millions en Europe) travaillent souvent dans d'affreuses conditions matérielles.
- 24 États des USA continuent à autoriser la peine de mort pour les mineurs de 16 à 18 ans.
Et au Canada, on n'en finit plus avec les manchettes d'enfants maltraités, de parents abuseurs et d'adolescents en fugue ou mis à la porte de leur maison. Les parents, les familles, les communautés semblent perdre leurs compétences à prendre soin et à faire grandir les enfants. Au Québec, le désarroi de parents incompétents, malades ou toxicomanes, qui mettent la sécurité de leurs enfants en danger, est aussi en hausse. Pas étonnant de retrouver quantité d'adolescents dans la rue, se prostituant pour payer leur drogue quotidienne. Les Centres de jeunesse du Québec ont offert des services à près de 100 000 enfants l'an dernier.
On comprend que, depuis les premiers siècles, les organismes d'Église se soient penchés tout particulièrement sur les problèmes de l'enfance. Combien de religieux et de religieuses se sont dépensés autrefois dans les orphelinats, les écoles et les hôpitaux, et ce, malgré ou avec toutes les dérives occasionnelles et les exceptions inexcusables. Les 'Vincent de Paul' ont toujours été nombreux. Encore aujourd'hui, des chrétiennes et des chrétiens font un travail de fourmis au nom de leur foi, ignorés des médias, au service de l'enfance abandonnée. Voici quelques exemples :
- C'est le "padre" Lebel qui à Lima au Pérou essaie d'apprivoiser ces jeunes "pirhanitas", meute dépenaillée qui détrousse les touristes.
- C'est le père Claudio au Burundi, un Xavérien, qui réussit à faire jouer et travailler ensemble de jeunes tutsis et hutus.
- C'est le père Lemay, un Missionnaire d'Afrique du Canada, qui, au Kénya, s'occupe des enfants de la rue abandonnés par leur famille.
- C'est le père Kozma, nommé "européen de l'année 91", qui obtient des serbes l'évacuation de milliers de femmes et d'enfants de Vukovar.
- C'est le père Labaky qui, au Liban, s'occupe de 1.200 enfants orphelins, de toutes confessions.
- C'est le père "Pops" qui, au Québec, s'occupe des skinheads ou des "drop out" de la société végétant dans les rues de Montréal.
- C'est le P. Tritz qui, à Manille, a créé une fondation où 26.000 enfants sont arrachés aux trottoirs de la ville.
- C'est sur Desmarais, une psychologue québécoise, qui est partie au Rwanda pour aider les enfants à dépasser et les peurs du passé et les haines conservées.
- C'est sur Marguerite Tiberghien qui fonde à Brazzaville une école spéciale pour les exclus des autres écoles, "l'école des sots" aux 1.300 élèves.
- C'est le père Lefort, qui a osé s'attaquer aux puissants réseaux de pédophilie d'Occident, bien avant les drames belges d'août 96.
Ces chrétiens et chrétiennes engagés l'ont fait comme de vrais serviteurs au nom de leur foi en celui qui est venu sur terre non pas pour être servi mais pour servir et qui s'est fait le Sauveur des petits et des pauvres. Ils ont voulu imiter ce Serviteur bienveillant. Ils l'ont fait aussi parce que, pour eux, l'enfant est le rappel des vertus indispensables pour grandir en humanité: la simplicité, la confiance, l'abandon, la capacité d'émerveillement, la tendresse.
Bien sûr, le service des petits n'est pas l'apanage des seuls chrétiens et chrétiennes. Nombre de personnes se sont engagées dans cette ligne, que ce soit par un humanisme exemplaire ou par tout autre idéal de compassion. Leur uvre est digne de mention et en tout point recommandable. Tout ce qui contribue à rendre le monde plus humain est signe du Royaume et y appartient déjà par sa générosité.
Depuis l'adoption de la Convention sur les droits de l'enfant par l'ONU en 1989 et ratifiée à ce jour par 191 États (ce qui en fait l'instrument international le plus largement ratifié de l'histoire) jusqu'à la Conférence ministérielle internationale de Winnipeg, que de chemin parcouru pour venir en aide aux enfants les plus démunis! Et, en septembre 2001, L'Assemblée générale des Nations Unies tiendra une Session spéciale sur les enfants. En tête de l'ordre du jour : la situation des enfants touchés par la guerre.
En septembre 2000, la sénatrice Pearson, qui assistait à la Conférence de Winnipeg, affirmait qu'il ne faut jamais perdre espoir devant l'ampleur des atrocités commises contre les enfants et la vulnérabilité de ces derniers. Elle conseillait la détermination et l'espoir. "Je n'ai jamais cessé d'être émerveillée par les facultés de survie des enfants pauvres, dit-elle. J'ai appris combien les enfants peuvent accomplir par eux-mêmes si seulement nous leur en donnons les moyens. Et c'est à nous qu'il revient de faire cette démarche." L'élaboration et la mise en place de solutions efficaces, pertinentes et durables par la communauté internationale ne se fera qu'avec la participation des enfants. Bourreaux ou victimes de la guerre, les enfants, si on leur donne notre foi et notre amour, peuvent devenir des artisans de paix qui aident activement leurs familles et leurs communautés à se remettre des suites d'un conflit. À nous de leur en donner les moyens.
Michel Fortin, M.Afr.