Africana Plus  

No 98 Mai 2012.2



Eau potable en Afrique

 


En mars dernier, à Marseille, s'est tenu le Forum Mondial de l’Eau. L’accès à l’eau potable est l’un des objectifs du Millénaire pour le Développement. Il faut réduire de moitié le nombre des gens qui n’ont pas accès à l’eau potable d’ici 2015.

 

Annoncer que 70% de la population a accès à l’eau potable veut dire, pour certains, que les infrastructures mises en place permettent de distribuer de l’eau à 70% de la population... mais pour d’autres, cela voudra dire que 70% de la population consomme effectivement de l’eau potable. Où est la nuance ? Simple. Vous pouvez avoir un robinet à 10 mètres de votre maison mais trouver que l’eau est trop chère, et donc ne consommer que l’eau du puits, souillée par les latrines du voisin. M. Thierry Helsens, hydrogéologue installé à Bamako, et qui travaille depuis 1983 en Afrique de l’Ouest nous présente la situation.

 

Des puits pour les villages

Il y a toujours un puits sur notre chemin quand on prend la route au Mali. Puits moderne réalisé avec des moyens importants, permettant d’atteindre la nappe à grande profondeur, mais aussi puits villageois, puits pastoral, puits des jardins. Parfois, ce sont des puits très superficiels, simples trous dans le sol, d’une profondeur de quelques mètres, à peine sécurisés sur leur bordure. Ils s’arrêtent en profondeur quand la roche devient trop dure pour le puisatier. Ils exploitent juste une nappe de surface alimentée à la saison des pluies. Ils sont donc rarement en eau toute l’année et font l’objet d’un surcreusement ou de curages réguliers quand on ne puise plus que de la boue.

 

Tôt le matin ou à la tombée du soir, les petits troupeaux de chèvres sont là, bien adaptées à ce climat et se nourrissant facilement de tout ce qu’elles trouvent pourvu qu’il y ait à boire. On y trouve aussi des moutons et quelques bovins. Des femmes y viennent pour la lessive, elles repartent ensuite en ramassant le linge sec, après avoir profité du puits pour se laver, chargées d’un seau d’eau pour le soir. C’est parfois le seul point d’eau du village. On mesure alors la précarité de cette ressource en eau. Ça n’a l’air de rien un puits villageois, mais très souvent c’est ce petit point d’eau qui fait que les gens se raccrochent à leur terroir, tiennent encore envers et contre tout, refusent d’aller ailleurs, de franchir le pas vers l’exode.

 

Moderniser les puits, oui, mais comment ?

Dans ce village, les choses vont changer, un forage est en cours de réalisation. Il sera équipé rapidement d’une pompe à motricité humaine. La population est soulagée, on nous parle de diarrhées, de maux de ventre, de vers .... Le village est trop petit, accessible seulement 3 mois dans l’année, les conditions hydrogéologiques sont difficiles. Il faudra bien penser un jour à tous ces villages car l’accès à l’eau potable est aussi important pour ces populations que pour les grandes métropoles.

 

À Toumadiama, petit village proche de Djenné, la population disposait de 2 forages équipés de pompe à motricité humaine. Les deux sont en panne, et la population utilise les puits avec une eau de qualité plutôt douteuse. C’est mieux que rien mais pas satisfaisant. Plutôt que de remettre en fonction les pompes, on propose de remplacer une des deux par une petite pompe solaire avec un réservoir et un point de distribution avec robinets. On améliore ainsi la qualité du service, mais avec une condition essentielle : prendre l’habitude de donner un prix à ce nouveau service. Les conditions ont donc été posées et acceptées. Et le village joue le jeu avec ses petits moyens.

 

Parfois, les choses se compliquent. Pour une commune rurale, programmer un point d’eau pour un village qui n’en a pas, passe encore, mais recruter les bureaux d’études sur lesquels s’appuyer, lancer des appels d’offres, recruter des gestionnaires est autrement plus compliqué. La création d’un réseau d’adduction d’eau dans un petit centre urbain est forcément un évènement. Passer du puits, à 500 mètres de chez soi, au robinet est un progrès auquel tout le monde veut accéder, et c’est normal. Cependant, le dit progrès a un coût, celui du service de l’eau, au même titre que l’achat de la corde pour puiser l’eau du puits.

 

Le prix de l’eau

Entre les altermondialistes qui n’admettent pas que l’on rançonne de pauvres populations et les partenaires techniques et financiers qui souhaitent que les populations comprennent que les infrastructures hydrauliques, ça coûte cher, il n’est pas facile pour les projets et les directions techniques des pays sahéliens de trouver le juste milieu qui contente tout le monde. Il s’agit d’expliquer que l’eau a toujours eu un prix, qu’il soit humain (santé par exemple) ou technique (achat de cordes, creusement de puits…) seulement personne ne le sait ou ne veut le savoir. Mais combien coûte l’eau au Mali ?

 

Auparavant l’eau était ‘gratuite’ (puits, pompe à main), les habitudes de gratuité ne sont pas toujours faciles à changer, même si indirectement le service de l’eau avait quand même un coût. Que faire ? Vendre le « service de l’eau » à petit prix afin d’habituer les populations à l’eau potable, à ses bienfaits mais aussi en acceptant que la gestion soit déficitaire les premières années ? Cependant on doit expliquer aux gens que le système doit fonctionner (achat de consommables, entretien préventif…), qu’il doit être renouvelé (dans 5 ans, dans 10 ans) et qu’il faut bien quelques salariés pour s’occuper de la gestion (et donc les payer). On arrive au prix d'environ 1.30 $ le m3 (mètre cube).

 

La gestion de l’eau

La gestion d’une Borne Fontaine (B.F.) n’est pas une sinécure. Bientôt, la fontainière, la vieille du quartier qui accepte d’être présente à la borne fontaine et de faire payer l’eau aux usagers, d’être de permanence auprès du robinet tout en gardant les bébés des voisines, voit son «salaire» baisser, passer de 10 $. à 6 $. par mois! L’explication est simple : il n’y a pas assez de recettes pour la payer et il faut mettre quelques fonds sur le compte de renouvellement. Mais ce n’est pas un problème, elle sait que c’est symbolique, il en va de la vie même de la pompe. En effet, le paysan qui espérait bénéficier de 20 litres par jour (20 l/ jour) d’eau potable doit souvent revoir ses ambitions à la baisse lorsqu’on lui présente la facture, même si celle-ci est parfaitement justifiée. Payer 1.30 $ le m3 d’eau, passe encore pour boire; mais pour se laver, faire la cuisine ou la vaisselle, pas question. Je retourne au puits quand il y en a un, sinon je me débrouille autrement.

 

La consommation passe alors de 20 l/jour par habitant à 3 ou 4 litres, 10 litres dans le meilleur des cas, mettant en danger la pérennité des investissements. Elle entraîne aussi une démotivation profonde des fontainiers dont la rémunération est proportionnelle au volume d’eau vendu. On se retrouve donc avec des systèmes d’alimentation en eau potable dimensionnés pour fournir 250m3 d’eau par jour... et vendant péniblement leurs 40m3 par jour. Construire des systèmes d’alimentation en eau potable, c’est bien, les faire durer pendant vingt ans, c’est encore mieux. Tout le secret est dans la formation à la gestion, et c’est loin d’être évident.

 

Problèmes d’environnement

Quand on parle d’adduction d’eau potable, on pense surtout au côté potable, mais quand on imagine les corvées d’eau supportées avant par les femmes, on voit encore mieux le progrès réalisé et l’accueil réservé au robinet. L’adduction d’eau potable se met en place. Pour la population, c’est tout bénéfice. Plus besoin de se déplacer, le robinet est là, à portée de main, il y a juste à le tourner. Oui, mais pas d’égouts, pas d’évacuation des eaux. Et il est évident que quand on consomme dix fois plus, on rejette dix fois plus et souvent au mauvais endroit. C’est-à-dire devant sa porte ou celle du voisin, en plein milieu de la rue qui en général est en terre battue. En quelques mois, par endroits, la ville devient un véritable bourbier.

 

Maintenant, et partout au Mali, on ne peut réaliser un projet d’alimentation en eau potable sans le lier à des actions d’assainissement. L’éducation à l’utilisation de l’eau, le remplacement des robinets défectueux, le paiement au volume, et non au forfait, constituent une partie des mesures d’accompagnement qui sont mises en place par les projets. Elles viennent compléter les mesures pratiques que sont les puits perdus aux points de distribution d’eau ou au bord des cours des maisons.

 

Autre dommage « collatéral » des campagnes pour l’eau potable : la prolifération des sachets en plastique. Il y avait déjà les sachets multicolores pour l’emballage des achats. Boîte d’allumettes ou kilo de bananes ont droit au sac plastique. Pour la boisson, même chose, le petit sachet plastique transparent est devenu la norme, il remplace à moindre coût les gobelets et les bouteilles. Ces petits sacs plastiques sont devenus si communs que l’on n’y fait plus guère attention. A tous les carrefours, auprès des gares routières et des marchés, à chaque manifestation culturelle ou sportive, on rencontre ces petites vendeuses ou vendeurs (presque toujours des mineurs) qui proposent de l’eau fraîche ou des jus à la volée. Pratique, bien sûr, de pouvoir à tout moment acheter pour 0.02 $ d’eau potable fraîche quand on a chaud. Pratique mais ni très raisonnable, ni très écolo. Invariablement, les sacs de plastique se retrouvent à terre et vont tranquillement polluer le paysage, boucher les égouts ou transformer les arbres du quartier en arbres de Noël bien décorés. La prolifération de ces sacs devient un réel problème de salubrité (et donc de santé publique).

 

Mais il y a plus. Certains sachets sont plus ou moins officiels, avec le logo de sociétés de distribution d’eau et une autorisation administrative, mais ce n’est pas toujours le cas. Le problème est que, en saison chaude, beaucoup de particuliers qui ont un congélateur se lancent dans cette activité pour s’assurer un complément de revenus. La famille passe la soirée à remplir ces petits sacs d’eau, avant de les mettre au congélateur. Outre les conditions d’hygiène aléatoires de ce remplissage dans la cour familiale, il y a celles de la congélation. On ne parvient pas toujours à assurer la chaine du froid et donc congélation lente, décongélation... recongélation. Scénario idéal pour la prolifération de germes en tout genre et ayant un effet spectaculaire, voire explosif, sur les intestins.

 

Conclusion

On s’aperçoit alors qu’il y a peu de choses entre un succès et un échec dans l’amélioration des conditions d’alimentation en eau potable. Un prix de l’eau un peu élevé, des ressources alternatives en eau disponibles toute l’année, un leader charismatique sont autant de choses qui peuvent mener au succès ou à l’échec. Un meilleur accompagnement, une remise en question du prix de l’eau basée sur des principes de mutualisation des épargnes pourraient permettre de passer ce cap, un peu comme on accompagne les jeunes entreprises les premières années.

 

L‘expérience montre que si les adductions d’eau potable de trois ans d’existence ont du mal à y arriver, une fois ce cap franchi, les consommations augmentent et permettent même aux gestionnaires de diminuer le prix de l’eau. Malheureusement, la gestion des infrastructures d’alimentation en eau potable n’a pas encore trouvé son chemin en Afrique sahélienne. Les taux de pannes sont encore anormalement élevés, le prix du service de l’eau décourage les usagers d’abandonner les sources d’eau traditionnelles responsables de maladies. Diminuer le prix du service de l’eau, rentabiliser les investissements, diminuer le nombre de jours de panne, tels sont les objectifs de la nouvelle forme de suivi de la gestion, car il ne s’agit pas de gérer le système à la place des populations.

 

Voix d'Afrique, No. 94, mars 2012

Avec l’aimable autorisation de M. Thierry Helsen

Blog Toubabou à Bamako, Libération


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