Africana Plus | |
No 98 Mai 2012.2 |
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Eau potable en Afrique
Annoncer que 70% de la
population a accès à l’eau potable veut dire, pour certains, que les
infrastructures mises en place permettent de distribuer de l’eau à 70% de la
population... mais pour d’autres, cela voudra dire que 70% de la population
consomme effectivement de l’eau potable. Où est la nuance ? Simple. Vous pouvez
avoir un robinet à 10 mètres de votre maison mais trouver que l’eau est trop
chère, et donc ne consommer que l’eau du puits, souillée par les latrines du
voisin. M. Thierry Helsens, hydrogéologue installé à Bamako, et qui travaille
depuis 1983 en Afrique de l’Ouest nous présente la
situation.
Des puits pour les
villages
Il y a toujours un puits sur
notre chemin quand on prend la route au Mali. Puits moderne réalisé avec des
moyens importants, permettant d’atteindre la nappe à grande profondeur, mais
aussi puits villageois, puits pastoral, puits des jardins. Parfois, ce sont des
puits très superficiels, simples trous dans le sol, d’une profondeur de quelques
mètres, à peine sécurisés sur leur bordure. Ils s’arrêtent en profondeur quand
la roche devient trop dure pour le puisatier. Ils exploitent juste une nappe de
surface alimentée à la saison des pluies. Ils sont donc rarement en eau toute
l’année et font l’objet d’un surcreusement ou de curages réguliers quand on ne
puise plus que de la boue.
Tôt le matin ou à la tombée
du soir, les petits troupeaux de chèvres sont là, bien adaptées à ce climat et
se nourrissant facilement de tout ce qu’elles trouvent pourvu qu’il y ait à
boire. On y trouve aussi des moutons et quelques bovins. Des femmes y viennent
pour la lessive, elles repartent ensuite en ramassant le linge sec, après avoir
profité du puits pour se laver, chargées d’un seau d’eau pour le soir. C’est
parfois le seul point d’eau du village. On mesure alors la précarité de cette
ressource en eau. Ça n’a l’air de rien un puits villageois, mais très souvent
c’est ce petit point d’eau qui fait que les gens se raccrochent à leur terroir,
tiennent encore envers et contre tout, refusent d’aller ailleurs, de franchir le
pas vers l’exode.
Moderniser les puits, oui,
mais comment ?
Dans ce village, les choses
vont changer, un forage est en cours de réalisation. Il sera équipé rapidement
d’une pompe à motricité humaine. La population est soulagée, on nous parle de
diarrhées, de maux de ventre, de vers .... Le village est trop petit, accessible
seulement 3 mois dans l’année, les conditions hydrogéologiques sont difficiles.
Il faudra bien penser un jour à tous ces villages car l’accès à l’eau potable
est aussi important pour ces populations que pour les grandes
métropoles.
À Toumadiama, petit village
proche de Djenné, la population disposait de 2 forages équipés de pompe à
motricité humaine. Les deux sont en panne, et la population utilise les puits
avec une eau de qualité plutôt douteuse. C’est mieux que rien mais pas
satisfaisant. Plutôt que de remettre en fonction les pompes, on propose de
remplacer une des deux par une petite pompe solaire avec un réservoir et un
point de distribution avec robinets. On améliore ainsi la qualité du service,
mais avec une condition essentielle : prendre l’habitude de donner un prix à ce
nouveau service. Les conditions ont donc été posées et acceptées. Et le village
joue le jeu avec ses petits moyens.
Parfois, les choses se
compliquent. Pour une commune rurale, programmer un point d’eau pour un village
qui n’en a pas, passe encore, mais recruter les bureaux d’études sur lesquels
s’appuyer, lancer des appels d’offres, recruter des gestionnaires est autrement
plus compliqué. La création d’un réseau d’adduction d’eau dans un petit centre
urbain est forcément un évènement. Passer du puits, à 500 mètres de chez soi, au
robinet est un progrès auquel tout le monde veut accéder, et c’est normal.
Cependant, le dit progrès a un coût, celui du service de l’eau, au même titre
que l’achat de la corde pour puiser l’eau du puits.
Le prix de
l’eau
Entre les altermondialistes
qui n’admettent pas que l’on rançonne de pauvres populations et les partenaires
techniques et financiers qui souhaitent que les populations comprennent que les
infrastructures hydrauliques, ça coûte cher, il n’est pas facile pour les
projets et les directions techniques des pays sahéliens de trouver le juste
milieu qui contente tout le monde. Il s’agit d’expliquer que l’eau a toujours eu
un prix, qu’il soit humain (santé par exemple) ou technique (achat de cordes,
creusement de puits…) seulement personne ne le sait ou ne veut le savoir. Mais
combien coûte l’eau au Mali ?
Auparavant l’eau était
‘gratuite’ (puits, pompe à main), les habitudes de gratuité ne sont pas toujours
faciles à changer, même si indirectement le service de l’eau avait quand même un
coût. Que faire ? Vendre le « service de l’eau » à petit prix afin d’habituer
les populations à l’eau potable, à ses bienfaits mais aussi en acceptant que la
gestion soit déficitaire les premières années ? Cependant on doit expliquer aux
gens que le système doit fonctionner (achat de consommables, entretien
préventif…), qu’il doit être renouvelé (dans 5 ans, dans 10 ans) et qu’il faut
bien quelques salariés pour s’occuper de la gestion (et donc les payer). On
arrive au prix d'environ 1.30 $ le m3 (mètre cube).
La gestion de
l’eau
La gestion d’une Borne
Fontaine (B.F.) n’est pas une sinécure. Bientôt, la fontainière, la vieille du
quartier qui accepte d’être présente à la borne fontaine et de faire payer l’eau
aux usagers, d’être de permanence auprès du robinet tout en gardant les bébés
des voisines, voit son «salaire» baisser, passer de 10 $. à 6 $. par mois!
L’explication est simple : il n’y a pas assez de recettes pour la payer et il
faut mettre quelques fonds sur le compte de renouvellement. Mais ce n’est pas un
problème, elle sait que c’est symbolique, il en va de la vie même de la pompe.
En effet, le paysan qui espérait bénéficier de 20 litres par jour (20 l/ jour)
d’eau potable doit souvent revoir ses ambitions à la baisse lorsqu’on lui
présente la facture, même si celle-ci est parfaitement justifiée. Payer 1.30 $
le m3 d’eau, passe encore pour boire; mais pour se laver, faire la cuisine ou la
vaisselle, pas question. Je retourne au puits quand il y en a un, sinon je me
débrouille autrement.
La consommation passe alors
de 20 l/jour par habitant à 3 ou 4 litres, 10 litres dans le meilleur des cas,
mettant en danger la pérennité des investissements. Elle entraîne aussi une
démotivation profonde des fontainiers dont la rémunération est proportionnelle
au volume d’eau vendu. On se retrouve donc avec des systèmes d’alimentation en
eau potable dimensionnés pour fournir 250m3 d’eau par jour... et vendant
péniblement leurs 40m3 par jour. Construire des systèmes d’alimentation en eau
potable, c’est bien, les faire durer pendant vingt ans, c’est encore mieux. Tout
le secret est dans la formation à la gestion, et c’est loin d’être
évident.
Problèmes d’environnement
Quand on parle d’adduction
d’eau potable, on pense surtout au côté potable, mais quand on imagine les
corvées d’eau supportées avant par les femmes, on voit encore mieux le progrès
réalisé et l’accueil réservé au robinet. L’adduction d’eau potable se met en
place. Pour la population, c’est tout bénéfice. Plus besoin de se déplacer, le
robinet est là, à portée de main, il y a juste à le tourner. Oui, mais pas
d’égouts, pas d’évacuation des eaux. Et il est évident que quand on consomme dix
fois plus, on rejette dix fois plus et souvent au mauvais endroit. C’est-à-dire
devant sa porte ou celle du voisin, en plein milieu de la rue qui en général est
en terre battue. En quelques mois, par endroits, la ville devient un véritable
bourbier.
Maintenant, et partout au
Mali, on ne peut réaliser un projet d’alimentation en eau potable sans le lier à
des actions d’assainissement. L’éducation à l’utilisation de l’eau, le
remplacement des robinets défectueux, le paiement au volume, et non au forfait,
constituent une partie des mesures d’accompagnement qui sont mises en place par
les projets. Elles viennent compléter les mesures pratiques que sont les puits
perdus aux points de distribution d’eau ou au bord des cours des
maisons.
Autre dommage « collatéral »
des campagnes pour l’eau potable : la prolifération des sachets en plastique. Il
y avait déjà les sachets multicolores pour l’emballage des achats. Boîte
d’allumettes ou kilo de bananes ont droit au sac plastique. Pour la boisson,
même chose, le petit sachet plastique transparent est devenu la norme, il
remplace à moindre coût les gobelets et les bouteilles. Ces petits sacs
plastiques sont devenus si communs que l’on n’y fait plus guère attention. A
tous les carrefours, auprès des gares routières et des marchés, à chaque
manifestation culturelle ou sportive, on rencontre ces petites vendeuses ou
vendeurs (presque toujours des mineurs) qui proposent de l’eau fraîche ou des
jus à la volée. Pratique, bien sûr, de pouvoir à tout moment acheter pour 0.02 $
d’eau potable fraîche quand on a chaud. Pratique mais ni très raisonnable, ni
très écolo. Invariablement, les sacs de plastique se retrouvent à terre et vont
tranquillement polluer le paysage, boucher les égouts ou transformer les arbres
du quartier en arbres de Noël bien décorés. La prolifération de ces sacs devient
un réel problème de salubrité (et donc de santé publique).
Mais il y a plus. Certains
sachets sont plus ou moins officiels, avec le logo de sociétés de distribution
d’eau et une autorisation administrative, mais ce n’est pas toujours le cas. Le
problème est que, en saison chaude, beaucoup de particuliers qui ont un
congélateur se lancent dans cette activité pour s’assurer un complément de
revenus. La famille passe la soirée à remplir ces petits sacs d’eau, avant de
les mettre au congélateur. Outre les conditions d’hygiène aléatoires de ce
remplissage dans la cour familiale, il y a celles de la congélation. On ne
parvient pas toujours à assurer la chaine du froid et donc congélation lente,
décongélation... recongélation. Scénario idéal pour la prolifération de germes
en tout genre et ayant un effet spectaculaire, voire explosif, sur les
intestins.
Conclusion
On s’aperçoit alors qu’il y
a peu de choses entre un succès et un échec dans l’amélioration des conditions
d’alimentation en eau potable. Un prix de l’eau un peu élevé, des ressources
alternatives en eau disponibles toute l’année, un leader charismatique sont
autant de choses qui peuvent mener au succès ou à l’échec. Un meilleur
accompagnement, une remise en question du prix de l’eau basée sur des principes
de mutualisation des épargnes pourraient permettre de passer ce cap, un peu
comme on accompagne les jeunes entreprises les premières années.
L‘expérience montre que si
les adductions d’eau potable de trois ans d’existence ont du mal à y arriver,
une fois ce cap franchi, les consommations augmentent et permettent même aux
gestionnaires de diminuer le prix de l’eau. Malheureusement, la gestion des
infrastructures d’alimentation en eau potable n’a pas encore trouvé son chemin
en Afrique sahélienne. Les taux de pannes sont encore anormalement élevés, le
prix du service de l’eau décourage les usagers d’abandonner les sources d’eau
traditionnelles responsables de maladies. Diminuer le prix du service de l’eau,
rentabiliser les investissements, diminuer le nombre de jours de panne, tels
sont les objectifs de la nouvelle forme de suivi de la gestion, car il ne s’agit
pas de gérer le système à la place des populations.
Voix
d'Afrique, No. 94, mars 2012
Avec
l’aimable autorisation de M. Thierry Helsen
Blog
Toubabou à Bamako, Libération