No 27 Janvier 1998.1
Monde
Le cerveau humain est une éponge gorgée d'eau. On n'y trouve pas que de l'eau mais il y en a beaucoup. Et c'est normal : l'eau entre en moyenne pour 80% dans la composition de toute matière vivante. L'eau est indispensable à la vie. Ce qui est valable pour nous, les humains, l'est aussi pour tous les autres êtres vivants - animaux ou végétaux - qui ont besoin d'eau pour vivre et pour se développer.
Il y a d'abord les eaux de mer - salées - qui représentent 97% des ressources en eau de la planète - et il y a les eaux douces. Toutes les eaux douces ne sont pas également accessibles et utilisables pour l'homme. Quatre cinquièmes des eaux douces sont sous forme de glace ou de neige. Il reste donc le dernier cinquième des 3% d'eaux douces à la disposition de l'être humain et des êtres vivants n'évoluant pas dans le milieu marin. On trouve cette eau douce sous nos pieds, dans les nappes souterraines, et en surface, dans les lacs et les rivières.
Source de vie, l'eau nous semble tellement naturelle au Canada. Les sources jaillissent de partout, suite à une pluviométrie plus qu'abondante. Non seulement le Canada fait-il l'envie de plusieurs pays du fait de sa qualité de vie jugée la meilleure au monde, mais sa ressource incroyable d'eau potable lui confère la première place dans la course à l'or bleu.
Depuis plusieurs mois au Québec, et à Montréal en particulier, ce liquide essentiel à la vie provoque un débat public au sujet de sa privatisation. Les Québécois se sentent particulièrement concernés lorsqu'il est question de leur retirer, ne serait-ce que temporairement, le contrôle de leur robinet pour le confier à l'entreprise privée. L'eau est certes une ressource naturelle abondante au Québec avec ses lacs par milliers, ses fleuves et ses rivières. Le fleuve St-Laurent par exemple nous porte à croire que l'eau douce peut être consommée de façon illimitée. Cette impression de gratuité occasionne souvent, sinon constamment, une consommation qui dépasse les besoins réels.
En ce qui touche les coûts environnementaux, une simple équation suffit à les expliquer : des demandes excessives en eau potable engendrent des besoins additionnels en chlore de même qu'en ressources énergétiques. En ce sens, une gestion de l'eau qui vise la rationalisation et favorise la réduction de la surconsommation présente un intérêt environnemental certain.
Bien sûr, l'aubaine de la privatisation ne laisse personne indifférent. Tant pis pour ceux et celles qui la voyaient encore comme une gracieuseté du Tout-Puissant et qui croyaient aussi à la générosité de dame Nature. La gratuité a déserté notre monde d'hyperconsommation. L'or, qu'il soit or, noir ou bleu, attirera toujours tant les chercheurs que les prédateurs capitalistes. L'eau potable représente un secteur très lucratif pour les compagnies privées, puisqu'elle est nécessaire à la vie de tous les jours et que les compagnies qui détiennent des aqueducs sont en situation de monopole dans le monde.
Ces compagnies se pourlèchent déjà les babines. On embouteille et on vend à fort prix, à la plus grande joie des consommateurs qui ne demandent pas mieux que de se laisser séduire par les qualités illimitées de ce liquide salutaire. On en vante les pouvoirs curatifs. Qu'on soit pauvre ou riche, on le sert à toutes les tables. On souligne sa pureté et sa transparence. Selon les régions d'origine, on comptabilisera les années de grand "cru" : qui l'eut cru !
Si on en possède en surabondance dans les pays nordiques, elle fait dangereusement défaut dans les pays du sud. Les jardins européens ou nord-américains sont en contraste avec les déserts africains ou australiens. La Banque mondiale a même indiqué dans une étude récente qu'il faudrait investir 600 milliards de dollars au cours des dix prochaines années pour fournir de l'eau potable aux populations du tiers-monde et assainir les eaux usées des grandes villes des pays développés. L'eau est devenue une des priorités de notre planète. Même les inondations et la crue rendent celle-ci impropre à la consommation. Dans l'ensemble des pays chauds, sa pénurie provoque désolation, maladies et mortalité. On sait que dans la plupart des pays en développement, en particulier en Afrique, la majeure partie de la population n'a accès qu'à des sources d'eau non protégées et des équipements d'assainissement insuffisants. De ce fait, les habitants de ces régions sont en mauvaise santé et ont donc une productivité peu élevée et un potentiel de développement économique faible. Dans une famille africaine, par exemple, il n'est pas rare de trouver la majorité de ses membres affectés par le manque ou la qualité douteuse de cette source de vie. La moitié d'entre eux sont décédés et l'autre moitié ont des vers intestinaux (amibes ou bilharziose), du choléra ou de la diarrhée.
Selon la Banque mondiale, un demi-milliard de citadins (520 millions) n'auront pas accès à l'eau potable en l'an 2000. Cette constatation découle des tendances que l'on constate déjà depuis plusieurs années : l'urbanisation très rapide dans les pays en développement, la polarisation croissante entre les pauvres et les riches et la détérioration des conditions de vie vont obliger de plus en plus les politiciens et les gestionnaires à envisager des solutions basées sur une approche de gestion intégrée de l'eau.
Injustice de la création ? Ou alors possible chance pour la créativité de l'être humain ? Ne parle-t-on pas de déplacer des glaciers pour subvenir aux besoins des populations assoiffées du sud ? Ne cherche-t-on pas, à l'aide de satellites, les rivières souterraines qui feraient refleurir les déserts ? On sait que l'oasis, par exemple, n'est pas une exception mais un signe; le signe que l'eau est partout présente sous le désert, même là où on en douterait le plus radicalement. Et que dire de ces milliers de puits qui creusent le Sahel tels les trous d'un immense gruyère : signes d'espérance pour toute vie, quelle qu'elle soit. Effort généreux de millions de personnes, artistes ou saltimbanques, mécènes ou petites gens qui se font solidaires de ces nomades décharnés, déambulant sur une terre aride et desséchée. Les crevasses du sol invitent les larmes du coeur. Et les spectacles internationaux aident parfois à repousser les limites de l'insalubrité.
Bien sûr, tout n'est pas dit par ces gestes ponctuels de générosité. Ils ne durent bien souvent que le temps d'un frisson. On a encore besoin d'un grand vent de philanthropie ou de charité qui soit tenu en laisse par des bénévoles, des coopérants ou des missionnaires, laïques et religieux. Ceux-ci donnent temps et argent, parfois même leur vie, pour que cette vie surabonde dans l'hémisphère sud. À chacun sa façon d'aimer. Il ne faut pas privilégier l'un aux dépens de l'autre. Tous les gestes de solidarité sont nécessaires dans cette lutte gigantesque. Ici, et c'est le cas de le dire, toutes les gouttes d'eau sont nécessaires pour inventer l'oasis dans le désert.
"Trente enfants sont morts du choléra à Kisangani après avoir bu de l'eau rendue impropre à la consommation par la crue du fleuve Congo", a annoncé hier l'Unicef à Kinshasa. "Quelque 740 malades atteints de diarrhée avaient été hospitalisés dans un centre de traitement installé par Médecins sans frontières dans la capitale de la province orientale de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre). La Croix-Rouge (CICR) a installé un réservoir d'eau potable dans la ville, affectée par de graves inondations." (d'après AFP).
L'ONU se penche sur le problème de l'eau dans le monde depuis des années. De plus, depuis deux ans, cet organisme international a déclaré la guerre à la pauvreté en instaurant une décennie pour l'élimination de la pauvreté dans le monde. Et y a-t-il une plus grande pauvreté que la pénurie d'eau ? Elle provoque chaque année la mort de millions d'êtres humains.
Appuyons les programmes qui veulent promouvoir l'amélioration de cette richesse incalculable. Notre planète bleue a besoin de ce trésor bleu.
Conscientisons-nous à des gestes respectueux de la nature pour sauver l'avenir de nos enfants et celui de l'humanité tout court.
Insistons auprès de nos gouvernements pour qu'ils instaurent des politiques environnementales et des programmes d'aide aux démunis du tiers-monde.
Ces souhaits devraient faire partie de nos voeux de nouvelle année. Les hommes rêvent d'être indépendants. En fait, ils sont solidaires. Il est impossible d'être heureux tout seul. Le temps vient où la misère des oubliés, des rejetés et des ventres creux devient révolte et désespoir. Révolte qui risque de démolir tout ce qu'on a construit sans eux et même contre eux.
S'il est impossible d'être heureux tout seul, il est aussi impossible de trouver la paix tout seul.
Michel Fortin, M.Afr.