Africana Plus

No 57 Novembre 2003.5



S-eau-S
2003 : Année internationale de l'eau douce


 

L’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé l’année 2003 Année internationale de l’eau douce. Une résolution a été proposée par le gouvernement du Tajikistan et a rencontré le soutien de 148 pays. Elle engage les gouvernements, l’Organisation des Nations Unies et tous les autres acteurs à tirer parti de cette Année pour améliorer la prise de conscience de l’importance de l’utilisation durable, de la gestion et de la protection de l’eau douce. Il s’agit donc d’une autre manière de sensibiliser tous les pays à la protection de l’environnement. Nous avons tous la responsabilité, en tant que chrétiens et humains, de l’avenir de notre planète. Cette Année internationale devrait toucher de près le Québec dont l’une des richesses est l’eau.

 

L’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de proclamer 2003 l’Année internationale de l’eau douce. Le moment est on ne peut mieux choisi. Au Sommet du Millénaire, en 2000, les dirigeants des pays du monde ont convenu de réduire de moitié, au plus tard en 2015, la proportion d’individus qui n’ont pas accès à l’eau potable ou n’ont pas les moyens de s’en procurer. Et au Sommet mondial pour le développement durable qui s’est tenu à Johannesburg cette année, un objectif complémentaire a été fixé: réduire de moitié, dans le même délai, la proportion d’individus qui n’ont pas accès aux services d’assainissement de base.

 

«Les conséquences seront graves si nous n’atteignons pas ces objectifs. Les maladies mortelles continueront de faire des ravages et de se propager, l’environnement planétaire continuera de se dégrader et la sécurité alimentaire sera mise en péril, avec les risques d’instabilité que tout cela entraîne. Et si les problèmes liés à l’eau sont plus aigus dans le monde en développement, les pays développés ne sont pas pour autant à l’abri. Nous devons mieux gérer les ressources en eau de la planète. Nous devons irriguer plus efficacement, rendre les activités agricoles et industrielles moins polluantes et investir davantage dans l’infrastructure et les services qui touchent à l’eau. Nous devons aussi libérer les femmes et les filles du fardeau qu’est la longue marche faite chaque jour pour trouver de l’eau: il serait bien plus utile qu’elles consacrent tout ce temps et toute cette énergie à s’instruire et à améliorer leurs conditions de vie, celles de leurs familles et celles de leurs communautés. À l’occasion de l’Année internationale de l’eau douce, le monde doit se mobiliser, prendre conscience des problèmes, trouver des idées nouvelles et de nouveaux principes d’action et favoriser la participation, les partenariats et la concertation pacifique. Unissons nos forces, tirons parti des connaissances et des technologies dont nous disposons et faisons tout ce que nous pouvons pour protéger les précieuses ressources en eau douce de la planète, indispensables à notre survie et au développement durable au XXIe siècle.» Voilà le message que nous a laissé le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, pour cette année 2003.

 

Prenons un cas typique de la Corne de l’Afrique, véritable cas d’école. Huit ou neuf heures de marche, c’est ce que doivent faire les femmes de Déré Kiltu, à quelque 150 kilomètres de la capitale éthiopienne, pour remplir d’eau une cruche de terre dans la rivière Awash ou la rivière Kaleta et regagner leur village. «Elles partent tôt le matin et reviennent dans l’après-midi, explique Ahmed Ibrahim, un paysan de 80 ans. Et pendant ce temps, les enfants ont faim.» Selon les Nations unies, un Éthiopien disposerait en moyenne d’à peine plus d’un litre d’eau par jour, loin des 50 litres recommandés pour la boisson, la cuisine et l’hygiène. L’Éthiopie est le pays le moins avancé de la planète en ce qui concerne l’eau : 76% de la population n’ont pas accès à l’eau potable – ce taux est de 40% en Afrique subsaharienne et de 20% dans le monde. En outre, 85% des Éthiopiens ne disposent pas d’un assainissement convenable des eaux usées, tout comme 40% de la population mondiale. Si bien que de nombreux Éthiopiens souffrent, comme la moitié de la planète, de maladies liées à la mauvaise qualité de l’eau, l’une des principales causes d’une mortalité infantile élevée.

 

Dans les années à venir, l’ «or bleu» sera une denrée rare. Selon les spécialistes, chaque être humain verra sa disponibilité en eau potable diminuer d’un tiers d’ici à 2025. Aucun continent ne sera épargné. Le coupable ? L’homme. Mais est-il vraiment besoin de le désigner ? Depuis des années, sa responsabilité est aggravée par la gestion désastreuse de cette ressource vitale. Au cours de XXe siècle, la population a triplé alors que, dans le même temps, la consommation d’eau potable, au lieu de suivre le même rythme, a été multipliée par six. Avec des disparités intolérables entre les différentes zones géographiques. Quoique indispensable à la vie, l’eau douce est répartie de manière inégale sur la surface de la terre. En effet, 70% de la surface de la terre est recouverte d’eau; 97,5% de cette eau est salée, et les 2.5% restants sont de l’eau douce, dont près des trois quart sont gelés, ce qui laisse moins de 1% de ressources en eau pour la consommation humaine. Cependant, dans la plupart des régions, il existe suffisamment d’eau pour pouvoir satisfaire les besoins fondamentaux de tout le monde, ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas gérer avec précaution ces ressources en eau et veiller à ne pas les gaspiller. Environ 70 % de l’eau douce disponible est utilisée à des fins agricoles. Cependant, à cause de systèmes d’irrigation inefficaces, en particulier dans les pays en développement, 60 % de cette eau s’évapore ou est reversée dans les fleuves ou les eaux souterraines. La consommation d’eau destinée à l’irrigation a augmenté de plus de 60 % depuis 1960. Environ 40 % de la population mondiale vit actuellement dans des parties du monde qui connaîtront des difficultés d’approvisionnement en eau – des pénuries modérées ou graves.

 

Aujourd’hui, près de 1,2 milliard de personnes à travers le monde n’ont pas accès à une eau potable qui soit de qualité et à un prix abordable et 2,4 milliards de personnes – soit plus du tiers de la population mondiale – n’ont pas accès à des services d’assainissement adéquats. Plus de 3 millions de personnes, essentiellement dans les pays en développement, meurent chaque année, suite à des maladies causées par des conditions sanitaires insuffisantes et de l’eau insalubre. "Le difficultés d’approvisionnement en eau imposent des conditions excessivement difficiles à plus d’un milliard de personnes de la famille humaine" a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan. "Si la tendance actuelle se poursuit, il est fort probable que l’eau devienne une source croissante de tensions et de compétition féroce entre nations. Elle peut cependant aussi être un catalyseur de la coopération." Le Directeur général de l'UNESCO, Koïchiro Matsuura, a, quant à lui, déclaré récemment : " L'eau peut être un facteur de paix plutôt que de conflits. L'UNESCO s'emploie à ce que ce siècle soit un siècle de «paix de l'eau» plutôt que de «guerre de l'eau». En développant des principes et méthodes de gestion efficace et éthique de cette ressource, tout en respectant les écosystèmes qui y sont liés, nous faisons un pas vers l'objectif du développement durable ". Pour reprendre le cas typique de l’Éthiopie que nous citions plus haut : Si Dahaba ne va pas chercher de l’eau dans la rivière Awash toute proche, c’est parce que celle-ci se trouve sur le territoire des Afars, ennemis héréditaires des Somalis! "Ici, c’est la ligne de front, explique Hadji Samod Barre. Les garçons qui amènent les animaux boire à la rivière ne quittent pas leur kalachnikov. Autrefois, il y avait des pâturages où ni les Afars ni les Somalis n’emmenaient leurs bêtes, mais maintenant tous y vont. Pour avoir le pâturage, il faut tuer quelqu’un, ou bien c’est toi qui meurs. " La sécheresse aggrave les tensions interethniques, qui en un an auraient provoqué au moins 200 morts de part et d’autre.

 

Actuellement, on estime que les dépenses mondiales relatives à l’approvisionnement en eau potable et en services d’assainissement sont de l’ordre de 30 milliards de dollars par an. Pour pouvoir atteindre l’objectif de développement du millénaire en matière d’eau et d’assainissement, on estime que les dépenses supplémentaires seraient de l’ordre de 14 à 30 milliards de dollars par an. Dans le futur, les pénuries d’eau représentent également un problème pour le développement. En effet, au cours du 20ème siècle, la consommation d’eau a augmenté deux fois plus vite que la population. Il en a résulté une surexploitation des eaux souterraines et une baisse du niveau des nappes phréatiques et de certaines rivières, comme par exemple le fleuve Colorado aux États-Unis et le Fleuve jaune en Chine, qui sont souvent asséchés avant même d’atteindre la mer. Un certain nombre de régions, comme le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie du Sud connaissent d’ores et déjà un manque chronique d’eau, et quatre personnes sur dix vivent dans des parties du monde sujettes aux pénuries d’eau.

 

Qu’en est-il de l’eau potable dans les pays occidentaux et plus spécialement au Canada et au Québec ? Selon les dernières compilations, les Québécois arrivent bons deuxièmes au palmarès mondial avec une consommation moyenne de 400 litres par jour (l/j), juste derrière les Américains, qui les dépassent de peu avec 425 l/j. Le Québec dépasse ainsi et gonfle la moyenne canadienne qui se situe à 350 l/j, nettement au-dessus du Royaume-Uni (200 l/j) et de la France (150 l/j). Globalement, les résidences québécoises exigent la production annuelle de 1,7 milliard de mètres cubes d'eau traitée, dont 1,4 milliard proviennent des eaux de surface, principalement du Saint-Laurent et de ses tributaires, et 236 millions des eaux souterraines. Seulement 1 % de toute cette eau sert à l'alimentation humaine. Au Québec, à part certains jours de canicule, rares sont les occasions de s’inquiéter pour l’approvisionnement et la qualité de l’eau potable. Le territoire québécois possède en réserve 3% de l’eau douce renouvelable de la planète (Canada, 5,6%). Cela représente 135,000 m3 par habitant par année (500m3 par année représente le seuil critique de survie), soit huit fois plus que le volume moyen par habitant de la planète et 13 fois plus que celui des États-Unis.

 

Si le Canada est une véritable mine d’or bleu, l’eau potable apparaît de plus en plus comme un objet de commerce et de profit. La commercialisation des immenses réservoirs d’eau, tant en surface que dans le sous-sol, provoque le vertige. S’il existe un accord sur le fait qu’il est impératif de mieux gérer la consommation des ressources en eau douce du monde, il existe cependant des différences de point de vue par rapport aux politiques à adopter en vue d’y parvenir. Pour certains, l’accès à l’eau potable et à des services d’assainissement de base représente un droit humain dont la responsabilité revient aux gouvernements qui doivent prendre les mesures qui s’imposent. Pour d’autres, l’eau représente un bien économique qui devrait être fourni dans une perspective de rentabilité, ce qui comprend notamment des options tenant compte des tendances de marché et de la possibilité de privatiser certains aspects de l’approvisionnement en eau. Nombreux sont les gouvernements qui ont opté pour une approche hybride.

 

Cependant, les seuls intérêts économiques ne devraient pas dicter la marche à suivre. Une privatisation réussie exige au préalable un cadre législatif clairement défini permettant au gouvernement de s’assurer que l’entreprise privée protège en fait l’intérêt public. Il faut toujours s’assurer que les efforts du secteur privé pour mettre en place des services efficaces et sûrs ne sont pas au détriment des familles pauvres ou à faibles revenus. Dans les pays du tiers monde par exemple, des millions de personnes appauvries, incapables de payer leurs factures, sont privées d’eau potable. L’exemple du Ghana est très éclairant : 300% d’augmentation du prix de l’eau en trois ans; et cela afin de rendre le système plus attrayant aux investisseurs étrangers. Suite à cette hausse, plusieurs Ghanéens sont retournés s’abreuver à des mares insalubres, au risque de tomber malades ou d’y trouver la mort. Il y a donc un risque réel que la privatisation soit une menace au bien commun qu’est l’eau et à son accès universel.

 

En octobre 2002, le pape Jean-Paul II faisait parvenir un message à Monsieur Jacques Diouf, Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) au sujet de l’eau en tant que source de la sécurité alimentaire. En voici un passage : "La sagesse biblique nous rappelle qu'il ne faut pas abandonner « la source d'eau vive » pour « se creuser des citernes lézardées qui ne tiennent pas l'eau » (Jr 2, 13). Nous pouvons presque entrevoir ici un avertissement sur notre situation actuelle. En d'autres termes, on nous rappelle que les solutions techniques, aussi développées soient elles, ne sont d'aucune aide si elles ne prennent pas en compte la centralité de la personne humaine qui, dans ses dimensions spirituelles et matérielles, est la mesure de tous les droits et doit donc être le critère de mesure de tous les programmes et de toutes les politiques. Des niveaux satisfaisants de développement dans toutes les régions géographiques ne seront garantis de façon légitime et respectueuse que si l'accès à l'eau est considéré comme un droit des personnes et des peuples. Pour que ce soit le cas, la politique internationale doit apporter une attention renouvelée à la valeur inestimable des ressources en eau, qui souvent ne sont pas renouvelables et ne sauraient devenir un patrimoine réservé à une poignée de personnes, car elles sont un bien commun de toute l'humanité. En vertu de leur nature, elles doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité"

 

N’oublions jamais que, comme le chante Gilles Vigneault, "la source ne vend pas son eau". Nombreux sont ceux  qui réclament qu’un droit à l’eau soit officiellement adopté. La dignité de la personne l’exige. L’eau est en effet un bien essentiel à la vie. Sans eau, la vie est menacée, cela pouvant même conduire à la mort. Le droit à l’eau est donc inaliénable.

 

 

Michel Fortin, M.Afr.


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