Africana Plus  

No 95 Septembre 2011.3



Une dynamique missionnaire

La mission d'une Église locale


Dans l'histoire du catholicisme en Afrique, le nom du cardinal Joseph-Albert Malula est lié au combat pour un christianisme africain, car il avait fait de la réussite de la mission ad infra son cheval de bataille. Quelques spécialistes de sa pensée ont démontré que cette. passion était, chez lui, intimement liée à celle pour la mission ad gentes. Nous inscrivant dans cette dynamique, nous allons essayer de comprendre sa conception de la mission d'une Église locale et des communautés chrétiennes à la base, en deux temps.

 

 

Conception « malulienne » de la mission de l'Église locale

Encore jeune prêtre, Joseph-Albert Malula avait la ferme conviction qu'on ne pourra parler de mission réussie en Afrique tant qu'on n'aura pas touché l'âme des cultures africaines. Il avait en effet remarqué que « l'âme noire n'a pas été touchée. La vie de l'homme noir nous offre une dualité : l'évangile d'un côté et la vie même de l'autre côté. Là où il fallait la compénétration, il n'y a eu que la superposition; au lieu de l'incarnation, on a la juxtaposition ». Pour réussir cette mission, il faut, lui semblait-il, « accrocher le christianisme au substrat de l'âme bantoue ».

 

Le concile Vatican II, auquel il participa comme jeune évêque, le confirma dans cette intuition. En effet, pour justifier ses intuitions et innovations, il se référait régulièrement au décret conciliaire Ad gentes, et spécialement à ce qui y était dit sur la responsabilité missionnaire de l'Église locale. Voici, par exemple, comment il se présenta lui-même lors de la réception de son doctorat honoris causa : « Le sens exact de ma lutte pour le surgissement en terre africaine d'une Église à visage africain rejoint l'enseignement de Vatican Il concernant l'activité missionnaire. On ne saurait trop méditer ce passage du Concile Vatican II: "La semence qui est la Parole de Dieu, venant à germer dans une bonne terre arrosée de la rosée divine, puise la sève, la transforme et l'assimile pour porter enfin un fruit abondant. Certes, à l'instar de l'économie de l'Incarnation, les jeunes Églises enracinées dans le Christ et construites sur le fondement des apôtres, assument pour un merveilleux échange toutes les richesses des nations qui ont été données au Christ en héritage. Elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut contribuer à confesser le Sauveur et ordonner comme il faut la vie chrétienne [ ... ]". C'est pourquoi, à la lumière de l'enseignement du concile Vatican II concernant l'activité missionnaire, les Églises d'Afrique travaillent non seulement à l'élaboration d'une pensée chrétienne assumant valablement l'expérience spirituelle africaine, mais aussi à la promotion de ministères et services. Telle est notre conviction : nos Églises particulières d'Afrique ne seront vraiment et réellement autonomes que si elles jouissent de la plénitude de leurs moyens de salut. Parmi ces moyens, nous tenons à signaler notamment des ministères propres et adaptés aux besoins de nos Églises respectives ».

 

« Christification » en profondeur de l'homme africain

Avant les années 70, le cardinal Malula utilisait les concepts de «compénétration», «d'accrochage» pour exprimer la réussite de la mission chrétienne dans un terroir. Ce n'est que plus tard qu'il préférera parler d'«africanisation» ou «d'incarnation» du message chrétien dans tous les aspects de la vie de l'Église locale en Afrique.

 

Et comment cela va-t-il se faire concrètement ? Il synthétisa sa réponse lors de la célébration du centenaire de l'évangélisation de la RDC : « le deuxième siècle de notre évangélisation sera le siècle de l'évangélisation en profondeur, le siècle de l'inculturation. Éclairés par le concile Vatican II, nous voulons surtout reprendre et approfondir l'enseignement du décret Ad gentes en vue d'une «christification» en profondeur de l'homme africain et du surgissement d'une Église authentiquement africaine et authentiquement catholique ». Et de s'expliquer: « j'emploie ce néologisme christification, créé à dessein pour exprimer l'opération par laquelle l'Esprit Saint modèle en nous l'image du Christ en imprégnant notre humanité de la divinité du Christ ». Comme le fait remarquer Césarine Masiala, « la spécificité du cardinal Malula réside dans la contextualisation de cette imitation du Christ dans l'univers socioculturel négro-africain.

 

La grande question qui le préoccupait était : comment le chrétien africain doit ou peut-il suivre le Christ dans une Afrique accablée de tant de misère ? Pour le cardinal Malula, tout Africain qui suit le Christ de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force doit aboutir à la «christification». Peu importe les schémas et la méthode adoptés dans dette suite du Christ, le résultat demeure le même: le désir de rester à la fois fidèle au Christ et à l'Afrique. La fidélité à l'Afrique signifie ici que l'Africain chrétien authentique ne se reposera pas tant que la nouvelle personnalité façonnée en lui par la « christification » ne le mobilisera pas pour la transformation de son milieu, pour concilier la foi au Christ et l'amour de sa culture à évangéliser».

 

Vers une Église plus missionnaire

Et cette « christification », fruit d'une évangélisation en profondeur qui façonnera l'Église en Afrique, aura un impact sur la dimension missionnaire de l'Église locale. En effet, cette évangélisation en profondeur « devra toucher davantage le fond de l'âme africaine, elle devra transformer davantage le fond de l'âme africaine, elle devra transformer davantage la vie de nos fidèles et leur comportement au sein de la société profane. Cette évangélisation devra s'exprimer davantage aussi dans les catégories de la pensée africaine, et créer des formes concrètes de vie chrétiennes, de "coutumes" chrétiennes, en même temps plus pleinement évangéliques et plus pleinement négro-africaines. Cette "deuxième évangélisation" transformera notre Église de Kinshasa [ ... ] en une Église plus apostolique et plus missionnaire ». Et de préciser : « il nous revient, à nous évêques africains, de rechercher la spécificité de notre culture en vue de l'émergence d'une Église particulière négro-africaine et de l'enrichissement dans la diversité de l'unique Corps du Christ qui est l'Église. L'apport de nos communautés chrétiennes vivantes est le service que nous avons à rendre à l'Église de Dieu ».

 

L'impératif d'organiser des petites communautés chrétiennes

au service de la mission

Étant donné que la réussite de la mission sur le continent africain a la double dimension individuelle (christification) et collective (surgissement d'une Église locale authentiquement africaine et authentiquement catholique), le cardinal Malula a accordé beaucoup d'importance à la pastorale des laïcs.

 

Il y a d'abord, pour tout laïc, la tâche individuelle d'être un « levain dans la pâte » dans toutes les situations où il se trouve. D'où la grande place accordée à la promotion du laïcat, pour « prendre en charge véritablement le bien de l'Église, [ ... ] donner son avis et son temps pour la réalisation d'une action christianisante dans le pays ».

 

Chez notre prélat, cela va de pair avec l'épanouissement des communautés ecclésiales de base :   « Il nous faut permettre au plus grand nombre possible de fidèles de prendre des responsabilités réelles dans leur Église. Nous avons dès lors aussi repensé les structures ecclésiales en les basant sur des entités plus petites que les paroisses. C'est ainsi que sont en train de naître les communautés chrétiennes de quartiers, petites entités à taille humaine où les hommes peuvent se connaître et se rencontrer plus facilement; où ils peuvent mieux voir et mieux sentir les besoins et les problèmes de tous et de chacun; où ils sont sensibilisés pour chercher et organiser eux-mêmes les réponses à ces besoins ». Et, pour ce grand prélat, la communion visée et entretenue dans les petites communautés ecclésiales de base à taille humaine n'a pas pour objectif ultime la seule charité fraternelle, mais bien en définitive la mission ad intra : « Le principe fondamental de 1a pastorale des petites communautés chrétiennes est de chercher et de travailler ensemble, prêtres et laïcs, en se partageant les différentes responsabilités chacun selon sa vocation, pour porter de manière plus actuelle le message du Christ en plein dans la vie des gens là où ils sont, spécifiquement ici dans leurs quartiers de résidence ».

 

Communautés de base et théologie africaine

Et c'est parce que les communautés ecclésiales de base sont une des pièces maîtresses de l'activité missionnaire de l'Église telle qu'il la comprenait que le cardinal Malula, qui était convaincu qu'un « christianisme africain ne se conçoit pas sans théologie africaine », répétait à plusieurs reprises que « les communautés ecclésiales de base joueront un rôle très important dans l'élaboration de la théologie africaine ». C'est que, pour lui, « elles constituent des lieux par excellence de l'expérience spirituelle africaine. C'est là en effet, que l'âme africaine noire accueille la Parole de Dieu, la relit, la médite, l'assimile, l'expérimente, l'interprète à sa façon et l'exprime aussi à sa façon. Cette réponse de l'âme africaine noire à la Parole de Dieu qui l'interpelle dans son milieu socioculturel propre sera vraisemblablement tout autre, une réponse inédite. C'est ce "tout autre" qui fera notre discours théologique africain », une fois que les théologiens de métiers l'auront systématisé.

 

Conclusion

On l'aura remarqué, cette conception de la mission de l'Église locale n'est pas une particularité du seul diocèse autrefois placé sous la sollicitude pastorale du cardinal Malula, ni non plus du continent africain : c'est chez tous les peuples de la terre que ce processus appelé tour à tour « compénétration » ou « accrochage » de l'Évangile dans la culture, « incarnation » du message chrétien dans la culture, etc… doit réussir. Quelle partie du monde et quelle Église locale pourrait dire aujourd'hui qu'elle échappe à cet impératif missionnaire ? Le cardinal Malula aurait certainement renchéri : si vous vous en êtes rendu compte, qu'est-ce qui vous empêche de donner toute leur place au laïcat et aux petites communautés chrétiennes à la base, quelle que soit la forme qu'on pourrait leur donner ?

 

Josée Ngalula *

 

* - Religieuse de Saint André, la Sœur Josée Ngalula est titulaire d'un doctorat en théologie (Université Catholique de Lyon – UCL). Elle enseigne la théologie dogmatique à l'institut St Eugène de Mazenod à Kinshasa (RDC), à l'Institut Africain des Sciences de la Mission et à l'Université Catholique du Congo (ex. FCK). Parmi ses domaines de recherche : les théologies africaines et les nouveaux mouvements religieux en Afrique.


Retour au menu principal