No 45 Avril 2001.3
1901-2001
Centenaire des Missionnaires d'Afrique en Amérique
du Nord
Il y a cent ans, commençait "l'invasion pacifique de l'Afrique sur le continent canadien" selon le mot de Mgr Louis-Nazaire Bégin, archevêque de Québec de l'époque. Le 5 mars 1901, le Père John Forbes, premier Père Blanc canadien, sollicite, au nom des Missionnaires d'Afrique, la permission d'ouvrir une maison à Québec. Mgr Bégin accorde cette permission le 11 mars suivant. Il écrit au Père Forbes : "De grand cur, mon Révérend Père, j'agrée votre demande C'est un honneur pour un diocèse de donner l'hospitalité la plus fraternelle à une Congrégation comme celle des Pères Blancs Je verrai avec bonheur vos jeunes Pères Blancs figurer parmi nos séminaristes philosophes ou théologiens Venez donc, à la joie de notre cur, prendre place au milieu de nous". Aujourd'hui en 2001, il y a 304 Missionnaires d'Afrique (Pères et Frères) qui appartiennent à la Province de l'Amérique du Nord : 188 résident au Canada, 27 aux Etats-Unis et 89 en Afrique.
Mais pourquoi les Pères Blancs voulurent-ils s'installer au Canada ? Parce que leur fondateur, le cardinal Lavigerie (né en 1825 à Bayonne, France) voulait que sa communauté soit internationale. "J'ai voulu à dessein que toutes les nations dont les intérêts sont en présence dans notre Afrique, y fussent représentées, disait le cardinal J'ai déclaré que je ne garderais point un seul d'entre vous qui n'entourerait pas du même amour tous les membres de la Société, à quelque nation qu'ils appartiennent Mon ambition est qu'en parlant de notre petite Société on dise d'elle du moins qu'elle est catholique par excellence." Le cardinal donnait bien sûr à ce mot son sens original, à savoir : universel, de toutes nations. En fait, dans les années 1890, la Société comptait tout juste 300 membres. Internationale elle l'était déjà, mais en quelque sorte en puissance. En fait elle était encore à 90% française. Il y avait un Canadien, le futur Mgr Forbes qui, onze ans plus tard, devait fonder la "province" des Pères Blancs de l'Amérique du Nord. En cent ans, il en sortira environ 700 membres.
L'internationalité est donc une des dimensions caractéristiques de la Société des Missionnaires d'Afrique et chacune des quelques 500 communautés, provenant de 48 nationalités et travaillant en sol africain, témoigne de cette catholicité voulue par son fondateur. Ses membres vivent et travaillent en équipes internationales. Dans un monde où le racisme d'une part et la fraternité universelle d'autre part grandissent ensemble comme l'ivraie et le bon grain, ils proclament l'unité de la famille de Dieu en vivant dans des communautés interculturelles et intercontinentales. Cela fait partie de leur charisme missionnaire qui les appelle à accepter une variété de cultures dans leur Société.
En plus des Canadiens, des Américains et des Européens, les Pères Blancs accueillent aujourd'hui des missionnaires venant de l'Afrique, de l'Asie (Inde et Philippines) et de l'Amérique latine (Mexique et Brésil). L'ouverture à l'autre et le respect des différences sont une règle d'or pour la Société. Aussi, quand les Missionnaires d'Afrique parlent de catholicité, ce terme ne veut pas dire seulement que les membres de cette Société viennent de tous les horizons. C'est en quelque sorte la mission elle-même qui devient catholique. Il ne s'agit plus d'une caravane de missionnaires occidentaux et barbus partant évangéliser l'Afrique. Les jeunes Églises en Afrique et dans le monde entier commencent à s'éveiller à la dimension missionnaire hors des frontières nationales. Car la mission est dans les cinq continents et ce sont les Églises des cinq continents qui en portent la responsabilité. La Société des Missionnaires d'Afrique entend être une voix de l'Afrique dans ce concert à cinq voix.
En Afrique, une équipe de Pères Blancs veut être un reflet du visage universel de l'Église. En vivant, priant et travaillant ensemble, ils cherchent à se connaître et s'estimer dans leurs différences. Leur vie en communautés internationales devient ainsi signe du Royaume de Dieu. Leur fondateur leur avait laissé cette consigne : "Ma dernière recommandation, mes chers Fils, la plus importante des trois, celle sans laquelle toutes les autres seraient inutiles, c'est la recommandation de saint Paul : Aimez-vous les uns les autres. Restez unis, unis de cur et de pensées. Formez véritablement une seule famille, ayez fortement, dans le sens chrétien et apostolique de ce mot, l'esprit de corps".
Mais encore, qui sont ces Missionnaires d'Afrique ?
Ils sont d'abord et avant tout des passionnés de Dieu. Ayant répondu à l'appel amoureux de Jésus-Christ, ils ont voulu offrir leur vie au service de la Bonne Nouvelle que le Seigneur voulait donner à l'humanité : un message d'espoir, de réconciliation, de pardon, d'amour compatissant. Ils proclament à tous par leur vie qu'ils sont enfants d'un même Père très aimant, membres d'une même famille.
Ils sont aussi des passionnés du monde africain. C'est vers lui qu'ils sont envoyés. À un moment où la crédibilité de l'Afrique est largement remise en question, ils se veulent solidaires de ses populations où qu'elles se trouvent. Ils demeurent des signes d'espérance pour tous ceux et celles qui désespèrent de l'Afrique. Ils se font proches des gens et de tout ce qu'ils vivent. Cette proximité aux pauvres n'est pas un idéal romantique, mais une démarche exigeante qui demande une conversion quotidienne. Elle requiert d'eux un style de vie qui les rend proches et accueillants. Ils apprennent aussi leurs langues et s'efforcent de connaître leurs mentalités. Les joies comme les épreuves de leurs frères et surs africains les touchent personnellement. Ils travaillent en collaboration avec eux et partagent leurs communes richesses spirituelles et culturelles; car ils ne partent pas en Afrique que pour donner mais aussi pour recevoir. Ils croient que l'Esprit de Jésus est déjà là, en Afrique, bien avant eux. Alors, en se mettant à l'écoute respectueuse des Africains, ils cherchent à découvrir avec eux la présence de Jésus dans leur vie.
Ils croient aussi que le plan de Dieu n'est pas uniquement le salut pour la vie éternelle. Il est aussi justice, développement, progrès des peuples africains. C'est pourquoi ils veulent coopérer entièrement avec ce plan. Ils acceptent ainsi la dimension prophétique de leur vocation où qu'ils soient envoyés. Comme Jésus, ils ne partagent pas seulement l'amour compatissant du Père, mais aussi son indignation devant la situation déplorable de son peuple. Beaucoup d'Africains vivent dans des régions ravagées par les guerres, l'exil, l'injustice, par la discrimination, la pauvreté, les famines D'autres vivent dans des pays qui sont riches mais où abondent des isolés, des exclus, des blessés de la vie, des immigrés africains ou musulmans, Ce sont toujours les plus faibles qui souffrent le plus de tous ces maux et qui demandent leur secours et leur aide, leur temps et leur amitié. Ainsi ils sont prophètes en remettant en question certaines situations :
favoriseront le Royaume de Dieu, et en les aidant ainsi à devenir les agents
de leur propre libération.
Missionnaires, ils sont appelés à faire le premier pas pour rencontrer les personnes, quelles que soient leurs convictions, leur religion. Ils cherchent en particulier le contact avec leurs frères et leurs surs musulmans pour découvrir l'Esprit de Dieu à l'uvre en eux. Ils s'intéressent à eux et les respectent, même quand il y a incompréhension ou opposition. Ils ne craignent pas d'entrer en dialogue avec eux et de partager leur propre expérience de foi.
L'Afrique cependant n'existe pas exclusivement sur le grand continent noir. Elle est aux portes même de l' Amérique du Nord. Les missionnaires s'efforcent donc de rendre les différents pays d'Afrique présents dans leur propre pays, avec leurs cultures, leurs problèmes et leurs appels. Ils ont à cur de communiquer un esprit d'ouverture et de fraternité à l'égard des immigrés. Dans leur pays d'origine, ils veulent vivre pleinement leur vocation missionnaire et cherchent à être des ponts entre les peuples, les cultures et les Églises locales. Et ils veulent combattre toute forme de racisme. C'est pourquoi ils offrent leurs services aux Églises d'Amérique du Nord en favorisant l'intégration des immigrants et la rencontre entre les croyants.
Sur Marie-Hélène Blais, des Surs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique (Surs Blanches) - ayant le même fondateur que les Pères Blancs - résume bien cet idéal des Missionnaires d'Afrique en nous livrant ce témoignage : "Quant à moi, depuis mon retour d'Algérie, j'essaie, en lien avec un organisme d'accueil, d'être plus présente au monde des réfugiés. Mon souci est de soutenir amicalement et de comprendre les besoins de ces femmes et de ces hommes déracinés au passé douloureux -, qui sont aux prises avec de réelles difficultés d'adaptation et d'intégration. Nous qui avons connu en Afrique le statut d'étrangères, nous tentons de sensibiliser les Québécois à cette réalité des réfugiés et immigrants qui ne cessent d'arriver. Nous dérangent-ils ? Les regardons-nous comme des surs et frères porteurs d'autant de richesses intérieures que de différences ? Créer des liens, lancer des ponts, faire sauter des barrières, vivre jour après jour la solidarité et le partage, voilà le sens que nous voulons donner à notre mission ici au Québec, nous qui avons été marqués par l'Afrique."
Comment les Missionnaires d'Afrique sont-ils perçus en Amérique du Nord ? Madame Hélène Lussier, une proche collaboratrice, a bien voulu lever un peu le voile : "En pensant à ce que sont les Pères Blancs, je suis émerveillée. Ils me donnent le goût d'être missionnaire dans mon milieu familial et social. Ces missionnaires, que je rencontre au Canada, ne se demandent pas combien il reste de "païens" à convertir mais plutôt comment porter du fruit là où ils sont envoyés. Ils ont un sens aigu de l'adaptation et c'est pour cela qu'ils s'incarnent si bien dans leur milieu Ce sont des hommes dont les yeux sont remplis d'étincelles, accueillants et à l'écoute. Des hommes remplis du même idéal de charité qui animait leur fondateur. Le Missionnaire d'Afrique nommé au Canada m'enseigne l'incarnation dans mon milieu : "fleuris où tu es planté", me disent-ils par toute leur vie."
De quoi demain sera-t-il fait pour ces mordus de la Mission ?
La Mission n'appartient pas à un passé révolu. Le monde d'aujourd'hui, l'Afrique en particulier, en a terriblement besoin. C'est pourquoi les Missionnaires d'Afrique pensent que Dieu appelle toujours des jeunes à faire connaître le Christ là où il n'est pas encore connu. La pénurie des messagers de l'Évangile ne s'est pas résorbée par l'africanisation de l'Église. Au contraire, elle croît. Il n'est donc pas étonnant que les évêques africains et à travers eux toute l'Église africaine continuent à lancer un appel pressant à l'Église universelle. Les tâches au service du Royaume de Dieu sont innombrables : évangélisation des non-chrétiens; formation du clergé et des catéchistes; autonomie des Églises locales africaines; participation à la construction de la société humaine, au développement et à l'éducation; lutte pour la justice et la paix dans et avec le monde africain.
Avec ses 770 millions d'habitants aujourd'hui, le continent africain verra sa population atteindre 1,2 milliard en l'an 2015. Un tel accroissement comporte évidemment des conséquences importantes. On constate une augmentation fulgurante de la population urbaine, un phénomène qui va de pair avec un dépeuplement progressif des régions rurales. Cette croissance démographique permet de comprendre pourquoi, dans la plupart des pays d'Afrique, environ la moitié de la population est âgée de 15 ans ou moins. Par son dynamisme, cette jeunesse entretient l'extraordinaire vitalité de la culture africaine.
Plus que jamais, l'Afrique d'aujourd'hui et de demain invite!
Michel Fortin, M.Afr.