No 17 Aoüt 1996.4
Burundi
Le Burundi, petit pays africain au coeur de l'Afrique des Grands lacs (4° au sud de l'équateur), est coupé du monde depuis le 31 juillet dernier. En effet, lors de la rencontre des pays limitrophes (Kenya, Ouganda, Rwanda, Tanzanie et Zaïre) à Arusha (Tanzanie), ceux-ci ont décidé l'adoption d'un blocus économique contre le Burundi suite au coup d'état du major Pierre Buyoya.
L'économie du Burundi en souffre déjà désespérément. Pays pauvre parmi les pauvres, le Burundi fait partie des pays les moins avancés (PMA) avec un Produit national brut annuel (PNB) de $210 par habitant. Cette économie repose sur ses exportations de thé et de café, acheminées à l'étranger par le Rwanda et la Tanzanie. Sans aucune ouverture sur la mer, il se retrouve coupé du monde. D'ailleurs, le Burundi commence à manquer dangereusement de carburant, lui qui importe toute sa consommation de pétrole brut via le Kenya.
Pourquoi une telle décision des frères africains envers le cadet pauvre ? À quoi sert d'écraser celui qui gît déjà au sol ? À cause de l'impasse politique qui paralyse le Burundi et qui risque de déstabiliser l'équilibre géopolitique des pays des Grands lacs. D'ailleurs, la majorité de ces pays étant composée de sociétés dites bantu, peut-on imaginer un soutien politique à ces anciens nomades de descendance nilotique ? L'affection spontanée pour ces races de pasteurs n'est pas évidente.
Et puis, on ne peut se permettre un autre Rwanda au coeur de l'Afrique sans risquer l'infarctus régional. L'anarchie règne au Burundi depuis l'assassinat du premier président hutu - et premier président élu démocratiquement - Melchior Ndadaye en 1993. Depuis, en réaction, les massacres n'ont cessé. On parle d'environ 100 000 morts, toutes ethnies confondues. Sans oublier les quelques 200 000 réfugiés dans les pays voisins et les 200 000 autres exilés intérieurs , obligés de changer de villages et de collines dans leur propre pays. Tous fuient la mort qui, elle, ne fait aucune différence entre Hutus et Tutsis. Comme solution, on propose une ordonnance de nitro économique. Mais une surdose risque de tuer le patient. D'où le sursaut des grandes agences humanitaires de l'Occident.
Entre temps, le peuple souffre, le peuple a peur, le peuple agonise. Les milices hutu ou les militaires tutsi massacrent des vieillards, des infirmes, des femmes et des enfants. Ils vont même jusqu'à tuer les malades dans les hôpitaux. Ils éliminent aussi bien les responsables que les simples gens, les innocents que les malfaiteurs, les Barundi que les étrangers. Ils entretiennent ainsi un climat de terreur et ils cachent leurs crimes sous le manteau de l'ethnie. Cette idéologie de l'ethnie sert le jeu du pouvoir et les intérêts d'une minorité dirigeante.
Dans une lettre pastorale adressée à tous les Barundi, lettre datée du 12 juin dernier, les évêques affirmaient que ces criminels justifient leurs actions en prétendant protéger leur ethnie et rétablir ses membres dans leurs droits. En soi, ce n'est pas mal de vouloir défendre sa famille ou protéger son ethnie. Le mal se trouve dans la volonté d'exclure les autres, de les persécuter et de les exterminer du fait qu'ils n'appartiennent pas à la même ethnie que vous ou parce qu'ils n'ont pas les mêmes idées que vous, en politique ou dans d'autres domaines.
Cette idéologie de l'exclusion ressemble étrangement à la politique d'apartheid que l'on a connu en Afrique du Sud. La fracture de la société burundaise semble mener à la création de petits hutulands et tutsilands. On peut même se deman-der s'ils n'existent pas déjà de par la balkanisation de la capitale Bujumbura où règne la minorité tutsi et le reste du pays, refuge de la majorité hutu.
Le major Buyoya, qui en est à son 2ième coup d'état (le 1er ayant été fait au dépend du colonel Jean-Baptiste Bagaza en 1987), ne semble pas, malgré ses dires, vouloir rétablir l'équilibre interethnique. C'est pourtant là que réside la vraie démo-cratie. La diversité est une richesse pour qui sait ouvrir les yeux. À vouloir à tout prix l'uniformité, on court après le malheur.
On pourrait comparer l'idéologie de l'exclusion à certaine plantation forestière. Nos forêts ont leurs malheurs. Et, comme pour nous, ces malheurs leur viennent souvent des hommes. C'est ainsi qu'un jour des techniciens, un peu trop sûrs d'eux, décidèrent de mettre de l'ordre dans la forêt. Et ils plantèrent des arbres, tous de la même espèce, tous du même âge, alignés comme des soldats. Un triomphe de géométrie. Et on attendit la merveille. Mais la merveille ne vint pas. Vint au contraire, dramatiquement, que ces arbres tous semblables épuisaient le sol en un rien de temps; vint que la maladie, parmi ces arbres trop semblables, se répandit comme la peste; vint que les vents renversèrent ces forêts uniformes comme la mitraille fauche des bataillons. Alors, avec moins de géométrie, mais plus de finesse, on en revint, dans les forêts, à un désordre apparent. On refit des forêts saines et vigoureuses en y multipliant les espèces et en y mêlant tous les âges.
Les races humaines seraient-elles si différentes des forêts. Le Burundi, comme toute autre nation, aurait intérêt à composer avec la diversité ethnique et faire preuve de tolérance. Suggestion que l'on peut aussi formuler pour le Canada ou le Québec. Fruit de l'orgueil et de la bêtise humaine, l'intolérance a semé les conflits et les guerres tout au long de l'histoire. Les guerres fratricides, nous ne le savons que trop, ne sont pas le seul apanage des Barundi...mais pour le moment, celle-ci fait rage dans ce merveilleux pays aux mille collines.
On peut espérer que les dirigeants du pays sauront désarmer leur suffisance pour que la population puisse s'épanouir à nouveau dans ce splendide jardin africain.
Michel Fortin