Africana Plus

No 10 Septembre 1995.4



Burundi

Votre café matinal


Au réveil, une bonne tasse de café... Quoi de mieux pour bien commencer la journée, n'est-ce pas?
À part le fait qu'il soit noir, quel lien avec le Burundi, pourrions-nous dire?

C'est que le Burundi est un important producteur de café, à savoir l'arabica qui, de l'avis des barundi, est le meilleur au monde. 85 % des rentrées de devises étrangères viennent de sa production de café. On parle ici de 30 000 tonnes par année. À 2 900 $ la tonne, ça devient une rentrée intéressante ( près de 90 M$) pour un petit pays essentiellement agricole qui, de surcroît, est l'un des 25 plus pauvres au monde.

Il serait intéressant de faire un retour en arrière en regardant dans notre tasse de café. Faisons donc un voyage dans le temps pour parvenir jusqu'au fruit rouge du caféier.

Il nous vient de l'épicier qui, lui, a pris son profit normal. Nous payons notre pot de café environ 5 $ le pot de 200 gramme (ce qui revient à 25 $ le kilogramme). Notre épicier l'avait acheté d'un importateur (une multinationale quelconque comme Nescafé par exemple...) qui, lui, l'a acheté au prix fixé (4 $ le kilo) par le Conseil de l'association des pays producteurs de café (APPC) à Londres. Quant au producteur (le petit paysan du Burundi), il a reçu la somme dérisoire de 0.80 $ le kilogramme.

Que font les gouvernants de cet argent? Dans les pays à dictature militaire, ces sommes servent en majorité à entretenir l'armée. Au Burundi, cela s'avère une véritable catastrophe. Pourquoi? Parce que dans ce pays, l'armée est un véritable monstre qui entretient la pagaille.

Comme le disait un étudiant africain de l'Université de Montréal: Le Burundi souffre d'abord de ses forces de sécurité et en premier lieu de son armée. Celle-ci veut à tout prix maintenir sa domination sur la société burundaise. S'étant investie protectrice de la communauté Tutsi, l'élite militaire lui rappelle constamment le danger d'être une minorité et multiplie les massacres contre les Hutus afin d'attiser les haines ethniques. Bien sûr, cela fait l'affaire des extrémistes Hutus ou Tutsis qui misent sur la violence pour atteindre le pouvoir.

Entre temps, le peuple burundais , lui, a peur de ceux qui parlent par les armes. C'est un peuple bâillonné qui étouffe dans son mutisme. Il cherche les mots pour qualifier la tragédie actuelle, et ne les trouve pas... Il vit dans la crainte. Jamais ce proverbe du pays aux milles collines n'a sonné si juste: Tu me caches que tu me hais, je te cache que je le sais. Dans ce pays où la parole est interprétée positivement ou négativement par son groupe ethnique, le discours est désormais banalisé. Hors de son champ ethnique, on ne vit pas, on n'existe pas.

Mais, revenons à notre café qui, décidément, a un goût plutôt amer, et à son producteur, le petit paysan burundais. Celui-ci a reçu la somme de 0.80 $ par kilogramme. Ayant produit plus ou moins 250 kilogrammes sur ses 40 ares (un are = cent mètres carrés) de terrain, il aura donc 200 $ pour une année(au Burundi, le revenu annuel par habitant est de 100 $; tous n'ont pas la chance d'avoir une plantation de café).

Mais ce n'est pas fini. Avec ce mince revenu, il devra payer ses taxes. Et que va faire le gouvernement de ces taxes? Nourrir le monstre militaire, assurément. Voilà bouclé le cercle vicieux. Éventuellement, quelques militaires bien intentionnés en viendront un jour à éliminer le petit producteur, surtout si celui-ci est de la mauvaise ethnie ou n'adhère pas à tous les principes dictatoriaux de la caste dirigeante. Pour donner ensuite sa plantation à un autre Murundi plus conciliant.

Évidemment, nous pourrions dire que ce roman noir est assez dérangeant à 7:00 heures du matin. De fait, le café, ainsi décortiqué, passe de travers. Tout de même, nous aurions parfois le goût de boycotter encore une fois telle ou telle multinationale, juste pour l'arracher à son ornière capitaliste.

Mais on peut aussi espérer qu'un jour la démocratie (une démocratie aussi honnête que possible) prévaudra quand, enfin, des civils dignement élus, siégeront à la tête du gouvernement à Bujumbura. Avec l'appui pertinent de gouvernements solidaires, d'ONG, d'Églises et de groupes populaires, cette démocratie pourra alors mieux faire valoir sa cause auprès des marchés internationaux pour obtenir une rétribution plus juste de ses produits. Il me semble qu'alors nous pourrons mieux goûter notre café matinal.

D'ici là, encourageons les membres de l'ONU à faire plus qu'un travail d'observateurs. On pourrait souhaiter qu'ils insistent fortement auprès du gouvernement burundais afin que celui-ci désarme les milices extrémistes et désethnicise l'armée.

Quant à nous, continuons à soutenir les initiatives de paix par notre intérêt à ce petit pays d'Afrique centrale. Il y a sûrement, au Burundi comme ailleurs, beaucoup de gens de bonne volonté. Faisons-leur confiance; ils sauront dépasser la Loi du talion car, dans ce pays où le taux de chrétiens est de 70%, c'est la Loi du Nouveau Testament qui devrait prévaloir, celle du pardon et de la réconciliation, qui n'est pas impossible, quoi qu'on en dise.

Michel Fortin, M.Afr.


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