Africana Plus

No 11 Juillet 1995.5

 



Algérie

Une mosaïque d'émotions


Aujourd'hui, à Montréal, deux rencontres ont eu lieu au sujet d'un même pays: la troublante Algérie.

Ce matin, un évêque, Mgr Michel Gagnon de Québec, responsable du diocèse le Laghouat, raconte aux confrères ses odyssées algériennes dans son pays d'adoption. On sent, chez lui, l'amour profond pour ce peuple africain. Pas un amour aveugle: non! Il est conscient des drames humains que tisse la violence politique. Lui qui a voué sa vie à Dieu, lui missionnaire de la Bonne Nouvelle, il se sent piégé par une foi au moins aussi ardente que la sienne. Au nom du Dieu Unique qu'il a juré de servir, on juge les siens. Au nom d'Allah qu'il a promis d'aimer, on terrorise le peuple choisi. Au nom du Miséricordieux qu'il adore, on l'expose à l'intolérance religieuse.

Pourtant, chez lui, aucune haine, aucune rancune, aucune violence verbale. Bien que fin analyste, il préfère livrer une anecdote de style évangélique:

Un jour, dit-il, revenant d'un long périple pastoral, je fais deux crevaisons. En plein désert, les rencontres, même rares, ne sont jamais laissées au hasard. Tous s'arrêtent pour m'offrir leur aide. Plus spécialement deux jeunes Algériens. Ils m'invitent chez eux, car la nuit tombe. Mais je préfère rester près de la voiture, en attente de mes confrères, avertis de ma panne. J'allume mes clignotants. Les phares d'une voiture, venant de Laghouat, m'annoncent les secours. Mes confrères? Non! Les deux jeunes Algériens. Ils apportent du couscous, des fruits, du thé à la menthe. Ensemble, nous partageons le rêve devenu réalité: celui de la fraternité. Je me souviens que, le dimanche précédent, l'Évangile relatait la parabole du Bon Samaritain. Qui évangélise qui?

Ce soir, au Centre Africa, Hebbat Ouahab, photographe au journal indépendant algérien Le Matin, expose une cinquantaine de clichés-chocs. Titré Intégrisme: barbarie plurielle, cette exposition a été présentée à Alger, à New York, à La Haye, à Amsterdam et à Bruxelles. On devine ce que l'artiste pense de la situation de son pays. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le montage dérange. Au début, on déambule lentement, on s'arrête, on médite devant telle ou telle photo. Puis, le pas s'accélère... on effleure les photos, on oublie le commentaire. À la fin, on coupe au plus court, on sort en courant... ou presque. Le coeur étranglé, la tête embrouillée, l'émotion violée. Quelle idée de s'arrêter ici ? Finie, la soirée d'évasion. Le repos fuit la pensée... À cause des corps calcinés et décapités, d' hommes armés jusqu'aux dents, de femmes criant leur douleur, d' enfants aux yeux tristes, d' adolescentes violées et torturées, de foules hurlant leur haine de l'intégrisme. Images insoutenables de l'horreur au quotidien!

À l'entrée de la salle, il y a un avertissement: La brutalité de certaines photos pourrait ne pas convenir aux sensibles.

Ouahab a pris la décision de choquer en traquant l'épouvante. La réalité est mise à nue, déshabillée. Il ne s'agit pas d'une pornographie sordide ayant pour intention de provoquer les haut-le-coeur. Non! La sensibilité du photographe transparaît trop bien dans ses images. L'auteur cherche à dévoiler l'abstraction, à débanaliser le drame médiatisé.

Il y a enfin l'espoir. Si mince soit-il à première vue, il est finalement bien réel. Il y a ces marches de femmes, ces comités d'auto-défense, ces enfants debout près des cercueils; il y a ces mains serrées, ces voiles levés, ces regards décidés. Tous, signes de résurrections continues.

Un évêque était présent à l'exposition. Juste retour des choses, ce soir, Mgr Michel Gagnon s'est arrêté au 1644 St-Hubert, pour secourir Ouabab, le nomade algérien, étranger en terre canadienne. Ils ont fraternisé.

Michel Fortin, M.Afr.


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