Africana Plus

No 61 Juin 2004.4



Année internationale 2004


La culture du "grain d'or"


 

Le riz est une composante essentielle d'un grand nombre de cultures et certains pays attribuent l'essor de leur civilisation au développement de la culture du riz. Il est frappant de constater que la récolte, le traitement et la consommation du riz varient, pour ainsi dire, selon chaque culture, et que ces différentes traditions, de fait, font partie du patrimoine culturel mondial. L'Année internationale du riz est l'occasion pour la communauté mondiale de se consacrer à la réalisation des objectifs convenus à l'échelle internationale tels qu'ils sont énoncés dans la Déclaration du Millénaire de 2000, qui préconise la réduction de la pauvreté et l'élimination de la faim.

 

Près de 3 milliards de personnes partagent la culture, les traditions et le potentiel inexploité du riz. Dans les villages reculés de l’Asie du sud-est, les agriculteurs comparent toujours un grain de riz à un «grain d’or». Les habitants du Japon moderne considèrent le riz comme le centre même de leur culture. Le long de la rivière Sénégal en Afrique de l’Ouest, les villageois accueillent leurs visiteurs avec des plats gastronomiques au riz. Où qu’il soit cultivé – dans les deltas et les vallées des principaux fleuves de l’Asie, sur les versants des Himalayas, dans les forêts tropicales humides de l’Afrique ou sur les terres arides du Moyen-Orient – le riz figure dans l’alimentation quotidienne des peuples, lors des festivals religieux et des réceptions de mariages, dans des peintures et dans des chansons. Même dans les nations dites «sans tradition rizicole», la culture de ce produit a modifié les paysages, introduit un nouvel art culinaire, et assuré aux agriculteurs de nouveaux revenus.

 

En proclamant 2004 Année internationale du riz, le Directeur général de la FAO, M. Jacques Diouf, déclare que le riz est "l'aliment de base pour plus de la moitié de la population mondiale" mais il avertit que "sa production subit de sérieuses contraintes". M. Diouf souligne à cet égard que la population mondiale continue de croître alors que les ressources en terre et en eau pour la production de riz diminuent. "Alors que la Révolution verte des années 70 avait grandement allégé le poids de la famine dans certaines parties du monde, ses gains s'amenuisent aujourd'hui ", selon M. Diouf.

 

Le riz dans le monde

 

Les chiffres de la FAO montrent que d'ici 2030, la demande totale de riz sera supérieure de 38 % aux montants annuels produits entre 1997 et 1999. Le riz est la source alimentaire qui s'accroît le plus rapidement en Afrique et a une influence très importante sur la nutrition humaine et la sécurité alimentaire partout dans le monde. Des systèmes durables de riziculture peuvent contribuer à éradiquer la faim dans le monde et à réaliser les objectifs du Millénaire des Nations Unies. "Près d'un milliard de foyers en Asie, Afrique et Amérique dépendent de la riziculture. Elle représente leur principale source de travail et de vie", fait observer M. Diouf aux délégués des Nations Unies. "Les quatre-cinquième environ du riz mondial sont produits par de petits agriculteurs et consommés localement. La riziculture entretient une grande variété de plantes et d'animaux, qui complètent les régimes alimentaires des ruraux ainsi que leurs revenus. Le riz est ainsi en première ligne dans le combat contre la faim et la pauvreté dans le monde".

 

Cette campagne de la FAO a été initiée par une proposition faite l'an dernier par 44 pays membres de Nations Unies, invoquant une "crise imminente" de la riziculture. Depuis le début des années 90, les scientifiques tirent la sonnette d'alarme, s'inquiétant que la croissance des rendements des rizières diminuait et était inférieure à la croissance démographique. L'accélération rapide de la riziculture dans les trois dernières décennies a été une des premières causes d'amélioration de la sécurité alimentaire mondiale. Néanmoins, parmi les 840 millions de personnes souffrant de sous-alimentation chronique, plus de cinquante pour cent vivent dans des zones où la riziculture fournit nourriture, emplois et revenus. "Il est temps", selon M. Diouf, "pour la communauté internationale, de travailler à l'accroissement de la riziculture durable, ce qui profitera aux agriculteurs, aux femmes, aux enfants et tout particulièrement aux pauvres. Des initiatives mondiales ont été lancées visant à promouvoir le développement agricole durable dans de nombreux pays. Je vois l'Année internationale du riz comme une grande chance, pour la communauté internationale, d'appliquer ces initiatives."

 

Un riz africain

 

Lorsque la sécheresse s'est abattue il y a deux ans sur Zaguiguia, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, seule une variété de riz poussait correctement, le Nouveau Riz pour l'Afrique (Nerica). La saison suivante, tous les agriculteurs de la région voulaient des graines de Nerica, mais il n'y en avait pas assez, explique Albertine Kpassa, cultivatrice locale. A Saioua, dans le centre du pays, une autre agricultrice, Elise Digbeu Ori, préfère le Nerica parce qu'il pousse plus vite et est rapidement rentable. "C'est très important, dit-elle, parce que j'ai six enfants qui vont tous à l'école."En Guinée, pays voisin où les premières variétés de Nerica ont été introduites en 1997, Mamady Douno cultive un champ de riz à Maferenya. "Depuis que j'ai commencé à faire pousser ce riz, je n'achète plus de riz au marché, a expliqué à un journaliste de la région ce père de 10 enfants. Avec le Nerica, je peux nourrir ma famille, payer les frais de scolarité de mes enfants et manger toute l'année."Sur un continent où il est souvent difficile de produire suffisamment de denrées alimentaires et où un tiers de la population souffre de malnutrition, les agriculteurs d'une dizaine de pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale obtiennent maintenant des récoltes de riz abondantes qui leur permettent non seulement de nourrir leur famille, mais également de vendre sur les marchés des excédents importants.

 

Le Nerica -- mis au point à l'origine par des chercheurs de l'Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l'Ouest (ADRAO), un centre intergouvernemental de recherche sur le riz -- est issu du croisement d'une ancienne variété africaine très résistante et d'une variété asiatique à haut rendement. Il allie les caractéristiques de ces deux variétés : la résistance à la sécheresse et aux parasites, des rendements supérieurs même avec peu d'irrigation ou d'engrais et une teneur en protéines plus élevée que les autres variétés de riz. C'est tout simplement "une culture miracle", a déclaré à Afrique Relance le Directeur général de l'ADRAO, Kanayo Nwanze, lors de la troisième Conférence internationale de Tokyo sur le développement africain (29 septembre-1er octobre), au cours de laquelle le Nerica a occupé une place importante.

 

La procédure "d'accélération" du NEPAD

 

En Afrique de l'Ouest, où le riz est une denrée de base, l'accroissement de la production locale a d'énormes répercussions. Pour répondre aux besoins de consommation, la région doit actuellement importer environ 3,5 millions de tonnes de riz par an, ce qui lui coûte près d'un milliard de dollars. L'accroissement de la production intérieure pourrait permettre aux pays africains d'économiser de précieuses devises étrangères. Cette année, la Guinée pourrait à elle seule économiser environ 13 millions de dollars.Mais comme l'a indiqué M. Nwanze au cours d'un déplacement récent au Nigéria, l'adoption à grande échelle du Nerica n'aura pas pour seules conséquences d'accroître la production de riz et de réduire les importations. "Les ménages auront aussi plus à manger et les agriculteurs auront plus d'argent. Cela contribuera par conséquent à la sécurité alimentaire et à la réduction de la pauvreté."

 

Les partisans du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), vaste programme de développement adopté en 2001 par les dirigeants du continent, ont pris conscience du potentiel que représente le Nerica. Le Comité de direction du NEPAD a fait figurer le Nerica parmi les "meilleures pratiques" du continent et a approuvé l'objectif qui consiste à développer la culture de ce riz dans l'Ouest et le centre de l'Afrique et à l'étendre à l'Afrique orientale et australe, dans le cadre d'une volonté plus générale d'accroître la production agricole et la sécurité alimentaire. Le Nerica, explique le professeur Richard Mkandawire, conseiller du NEPAD pour l'agriculture, peut aider à "accélérer le processus d'élimination de la faim et de la famine sur le continent africain".

 

Nulle part, la lutte pour la nourriture n’est aussi désespérée qu’en Afrique de l’Ouest, où vivent 240 millions de personnes soit un habitant du continent sur trois. Plus de la moitié de la population survit avec moins d’un dollar américain par jour.« Il faut avoir à l’esprit que « nourriture » rime avec « riz » pour beaucoup de gens en Afrique de l’Ouest » a indiqué Dr Kanayo F. Nwanze, Directeur général de l’Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest (ADRAO) basée en Côte-d’Ivoire. « Ironie du sort, le riz était considéré comme nourriture de luxe en Afrique de l’Ouest il y a de cela seulement deux décennies. Aujourd’hui c’est la nourriture de base », poursuit le Dr Nwanze. Actuellement le riz contribue à la fourniture de calories et de protéines plus que n’importe quelle autre céréale dans la zone humide d’Afrique de l’Ouest et autant que toutes les plantes à racines et à tubercules réunies. La demande de riz croît plus vite dans cette région que nulle part ailleurs au monde.En trois décennies, les importations de riz ont été multipliées par huit, pour atteindre 3 millions de tonnes par an avec un coût de près de 1 milliard de dollars américains.Environ 40 % des 4,1 millions d’hectares de riz cultivés en Afrique de l’Ouest sont exploités en riziculture pluviale c’est-à-dire que le riz est cultivé comme le blé ou le maïs. L’utilisation d’engrais et de pesticides est minimale et les rendements sont seulement de l’ordre de 1 tonne par hectare.

 

Ainsi, le riz est un aliment – mais bien plus qu’un aliment. Il représenté la société, la culture, la politique, les affaires, la beauté des paysages, les peuples au sein de leurs communautés. En somme, le riz, c’est la vie.

 

Cette lutte contre la faim dont parlent les responsables de l’ONU fait penser à ce conte chinois qui va comme suit : « Un mandarin partit un jour dans l’au-delà. Il arriva d’abord en enfer. Il y vit beaucoup de personnes attablées devant des plats de riz, mais toutes mouraient de faim, car elles avaient des baguettes longues de deux mètres dont elles ne pouvaient se servir. Puis, il alla au ciel. Là aussi, il vit beaucoup de personnes attablées devant des plats de riz; toutes étaient heureuses et en bonne santé, car avec leurs baguettes de deux mètres, chacune nourrissait celle qui était en face d’elle. »

 

Le fait de prendre part à l'Année internationale du riz en 2004 nous offrira à tous la possibilité de mener une action commune de lutte contre la faim et la pauvreté, d'aider à conserver notre environnement et d'assurer une vie meilleure à des millions de femmes, d'hommes et d'enfants.

 

 

Michel Fortin, M.Afr.

 


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