Africana Plus | |
No 67 Octobre 2005.5 |
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Nigeria : Églises pentecôtistes, les sous de Dieu
Elles organisent des centaines de milliers de fidèles. À
la tête d’entreprises, d’universités, de chaînes de télé, leur poids politique
et idéologique est décisif.
Sous de dôme de la Chapelle des gagnants, plus de 50 000 personnes endimanchées dansent, au son de 300 haut-parleurs. Des écrans géants permettent de ne rien perdre du sermon du prêcheur. Au centre de l’immense salle, depuis une scène surélevée ornée de fleurs blanches, le pasteur David Oyedepo, impeccable dans son costume beige clair, s’adresse à la foule vibrante. Des pancartes annoncent : « 2005 – le tournant ; voici venu le temps de ma délivrance ». Les fidèles s’étourdissent des promesses de lendemains meilleurs : « Le sida, les cancers sont guéris par le pouvoir de la Résurrection! Vous échappez aux griffes des sorciers et des sorcières! », annonce le pasteur. Sur de petits cahiers, les ouailles assidues prennent des notes, en scandant ses paroles.
Le cérémonial figure cet ailleurs tant désiré par les Nigérians : 80% d’entre eux vivent avec moins de 1 dollar par jour. Dans un monde chaotique, la Chapelle des gagnants, Église d’obédience pentecôtiste, mise sur l’organisation. Des dizaines de bus immaculés, frappés d’une inscription en rouge, le Pays de Canaan (l’un des noms de la Chapelle), sont garés aux abords du lieu de culte. Quelques 500 véhicules sont mis chaque semaine à la disposition des fidèles de la Chapelle des gagnants. Leur aspect soigné contraste avec celui des épaves qui servent d’ordinaire au transport collectif dans le pays. « Ce qui m’a frappé quand je suis venu ici pour la première fois, rapporte John Bede Anthonio, c’est l’ordre. » Cet architecte est devenu un des piliers de l’institution.
En 1998, La Chapelle des gagnants réunissait 6 000 fidèles chaque dimanche à Ota, à une soixantaine de kilomètres de Lagos. Sept ans plus tard, ils sont des dizaines de milliers à faire le déplacement hebdomadaire. Fondée au Nigeria en 1970, elle a ensuite essaimé dans trente-six pays d’Afrique, à Londres et jusqu’en Jamaïque. Implantées dans tout le pays, les Églises pentecôtistes du Nigeria recrutent dans toutes les couches sociales. Filiales d’Églises américaines ou créées dans le pays, elles se multiplient et il est difficile d’évaluer le nombre de leurs adeptes dans un pays d’au moins 50 millions de chrétiens et autant de musulmans.
Face à la faillite de l’État, leur croissance est exponentielle. Maladie, chômage, misère, problèmes de couple : aucun mal n’échappe à la compétence du pasteur. Au Nigeria, comme dans d’autres pays d’Afrique, l’explosion du mouvement pentecôtiste est liée au désespoir d’une population en moyenne très jeune, frappée de plein fouet par le sida, le chômage effarant, y compris pour les diplômés alors que les universités publiques en ruine ne fournissent souvent que des certificats dévalués. Les jeunes sont une cible privilégiée des Églises pentecôtistes. À mesure qu’elles se développent, elles peuvent offrir du travail en leur sein ou via leurs réseaux. Les étudiants fréquentent les salles d’informatique attenantes aux chapelles. Certains se voient offrir des emplois par des membres influents déjà insérés dans le circuit économique. « Je connais un directeur d’une agence bancaire qui n’a engagé que des jeunes de son Église », affirme un Nigérian. « Après votre diplôme, l’Église vous aide à trouver du travail ou parfois vous embauche », explique Kevin, 21 ans. Pour preuve : un de ses amis a reçu une recommandation pour un emploi à la compagnie aérienne Virgin Atlantics. À la question sur les raisons d’un tel enthousiasme, il répond par une autre question : « Où trouver de l’espoir ici ailleurs que dans les Églises? » Certains fidèles deviennent apprentis pasteurs, avec l’espoir de fonder leur propre Église, comme on crée son entreprise.
Car sur fond de misère, l’évangélisation est un business qui rapporte. La dîme réclamée par les Églises chaque mois représente 10% du salaire. Les membres sont soigneusement répertoriés. Ainsi, à Lagos, un maillage serré de 3 000 communautés entretient le lien entre la Chapelle des gagnants et ses fidèles. Toutes les Églises tiennent le même discours : les dons sont totalement volontaires. En fait, une sorte d’excommunication sanctionne le mauvais payeur : « Ne pas payer revient à rouler Dieu, on ne fait plus partie de l’Église, le pasteur peut refuser de se rendre aux funérailles de membres de la famille », explique un chercheur, spécialiste des religions. Un Ivoirien ayant fréquenté à Lagos un culte pentecôtiste s’étonne : « J’étais à peine arrivé qu’un responsable est venu me voir pour me parler de la dîme, nécessaire selon lui pour assister à la grand-messe du dimanche suivant. »
Mais si l’Église s’appauvrit momentanément, c’est, à la manière d’un placement avec intérêts, pour mieux enrichir plus tard. Car, dans le culte pentecôtiste, la réussite financière est vécue comme une bénédiction de Dieu. En témoignent les noms des Églises : Chapelle des gagnants, Église des champions, Église des vainqueurs. Musulmane convertie au christianisme, Hauwa Audu est courtière. C’est un rêve qui l’a conduite à la Chapelle des gagnants : en 1999, elle s’est vue en songe verser 5 000 nairas au Pays de Canaan. Le geste accompli, elle lui a attribué sa réussite dans les affaires qui, selon elle, a été fulgurante : « Les principes de management d’un business, vous les trouvez aussi dans les sermons du pasteur, explique-t-elle sans détour. Dieu a mis les hommes sur terre pour dominer. Si vous connaissez les principes, vous aurez des résultats. » Cette femme d’affaires fait bénéficier l’Église d’interventions sur le courtage en Bourse, elle reconnaît que le Pays de Canaan est aussi un bon endroit pour cultiver ses réseaux. Le lieu de culte pharaonique est attenant à une université flambant neuve à l’architecture élaborée : depuis 2002, 2 milliards de nairas (près de 15 millions de dollars), y ont officiellement été investis chaque année « sans apport extérieur », affirme le recteur Nathaniel Yemi. L’établissement accueille 4 300 étudiants, spécialisés dans le business et l’ingénierie du pétrole, dans la mécanique et la chimie. L’Église s’inspire de l’université évangélique Oral Roberts aux États Unis, où « l’enseignement repose sur les principes chrétiens ». Des échanges d’élèves et de professeurs ont lieu entre les deux établissements. Le projet du recteur repose sur le «concept de l’homme total, formé spirituellement, académiquement et physiquement ».
Le miracle comme fonds de commerce
Selon le pasteur Oyedepo, la prospérité du mouvement pentecôtiste au Nigeria, toutes églises confondues, a déjà permis d’ériger cinq universités. Pour asseoir leur influence, plusieurs Églises, comme la Redeemed Christian Church of God (RCCG), présentée comme la plus puissante du Nigeria, s’apprêtent en outre à ouvrir des chaînes de télévision. Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, les confréries rivalisent de témoignages édifiants destinés à prouver leur efficacité. C’est au cœur de la nuit que s’opèrent les miracles, leur principal argument de vente. Chaque premier vendredi du mois, la Synagogue, Église fondée au Nigeria il y a une dizaine d’années, attire des milliers de fidèles. Le bâtiment a été construit à Ikotun, un quartier populaire de Lagos, il y a deux ans, l’ancien étant devenu trop petit. Aujourd’hui, Suisses, Nigérians venus de tout le pays, Botswanais, Ghanéens, Sud-Africains et quelques Français viennent chercher la guérison miraculeuse.
Alignés en rang d’oignon, les malades sont identifiés par une pancarte sur laquelle sont inscrits leur nom, leur âge, leur nationalité et les maux dont ils sont affligés : attaque du malin, problème de famille, mauvaise haleine, organe faible, dépression, cancer de l’estomac… Vers une heure du matin, les pasteurs juniors, élèves africains et européens du prophète, entrent en scène. À leur contact, les « patients » tombent à genoux, vomissent ou crachent. Les pasteurs imposent les mains sur les fronts en hurlant « Out, out! » (dehors, dehors!). Les transes virent à l’épilepsie lorsqu’apparaît le prophète T.B. Joshua, un quadragénaire aux allures de chanteur de charme. À son contact, les malades s’effondrent les uns sur les autres. Au milieu de l’allée, des cameramans en sueur filment les guérisons à une vitesse vertigineuse. Les cassettes video commercialisées attireront les curieux, convaincront les incrédules. Depuis 1995, toutes les prestations de T. B. Joshua ont été filmées. Une salle de la Synagogue en est pleine.
Les scènes « miraculeuses » seraient anecdotiques si elles ne réunissaient que quelques milliers de croyants. Mais en mars, la Synagogue, images à l’appui, a rempli le stade national du Botswana. La RCCG annonce toujours à grand renfort de publicité les visites des pasteurs évangélistes, comme celle de l’évangéliste américain Benny Hinn pour une croisade de la guérison. L’Église promet alors une « explosion de miracles ». À l’occasion, elle attend aussi des invités de marques tels le président nigérian Olusegun Obasanjo, et le chef de l’Église anglicane, le révérend Peter Akinola. Comme les autres Églises conventionnelles, l’Église anglicane constate le pouvoir d’attraction des cultes pentecôtistes, qui drainent une partie de leurs fidèles, même si, de fait, beaucoup de chrétiens cumulent la fréquentation des deux cultes, conventionnel et pentecôtiste.
À l’instar des religieux, les politiciens ont perçu l’emprise croissante que les Églises pentecôtistes exercent sur les populations. Celles-ci ont ainsi renforcé Olusegun Obsanjo au début de son premier mandat, en 1999. Ce baptiste, yoruba du Sud, est perçu comme le héraut d’une revanche chrétienne dans un pays qui a été longtemps dirigé par des militaires du Nord. Car le pentecôtisme, « versant extrême du christianisme » selon l’expression d’un chercheur, est prêt à en découdre avec l’islam surtout lorsque celui-ci se radicalise. C’est le cas du Nigeria où, ces dernières années, douze États du Nord ont adopté la charia. Peu visible au sud du pays, sa capacité à attiser les divisions est patente dans les lieux de tension entre chrétiens et musulmans. Lors des affrontements inter-religieux meurtriers à Jos, dans l’État du Plateau, (au centre du pays) en mai 2004, ce sont essentiellement des édifices pentecôtistes qui ont été incendiés. Et les militants des groupes chrétiens étaient en grande majorité pentecôtistes.
Les Églises pentecôtistes régentent la vie privée de leurs fidèles, mais elles ont aussi vocation à jouer un rôle dans la vie publique. Cette influence croissante découle de leur prosélytisme et de la mission qui, selon elles, leur est assignée de participer au développement de l’Afrique. « Notre intention est de diffuser les valeurs de l’Évangile, explique ainsi le pasteur Oyedepo. Nous sommes déjà dans l’éducation. Bientôt, nous établirons des hôpitaux et des orphelinats. » Et le recteur de l’université de la Chapelle des gagnants renchérit : « Notre objectif principal est de former une génération de leaders qui créeront les changements dont l’Afrique a besoin. »
Michel Fortin, M.Afr.
N.B. : Texte tiré d’un article de Virginie Gomez dans le magazine Alternatives Internationales