Africana Plus

No 41 juin 2000.4



Ouganda
Une Église sans espérance


 

Plus de mille morts dans ce massacre collectif : on se demande pourquoi! Comment une telle tragédie est-elle possible ? Le 17 mars dernier, des centaines de personnes ont été aspergées d'essence alors qu'elles étaient enfermées dans un petit bâtiment qui leur servait de lieu de rassemblement dans le village de Kanungu. C'est sûrement l'épisode le plus sanglant dans l'histoire contemporaine des sectes religieuses.

Embrigadés par des gourous qui faisaient miroiter à leur esprit une vie meilleure dans l'au-delà, les fidèles africains du "Mouvement pour le rétablissement des dix commandements de Dieu" (fondé en 1989) ont connu une fin atroce. Pendant plusieurs années, le fondateur, Joseph Kibwetere (68 ans), avait été enseignant et directeur d'école. Il s'était tellement distingué qu'il avait même été nommé responsable du Conseil Paroissial de Kagamba, dans le diocèse de Mbarara. Il s'était aussi lancé en politique mais avait été débouté en 1980 quand sa motion fut refusée au Parlement. Peu après, il aurait eu une vision divine, comprenant que sa mission serait de rétablir les Dix Commandements. Au début, il forma un groupe de disciples, dont trois anciens prêtres exclus de l'Église catholique et des jeunes filles. Leur fanatisme se révéla lorsqu'ils prétendirent avoir eu des révélations personnelles de salut que Dieu leur demandait d'annoncer au monde. Le message le plus troublant fut celui du rapprochement de la fin des temps. Cela eut inévitablement des retombées pratiques sur la vie des gens subjugués.

Le tournant advint entre 1993 et 1994, quand le mouvement se transféra dans la localité de Kanungu (district de Rukungiri), où les dirigeants achetèrent un terrain pour y construire leurs installations. Cette propriété appartenait à une ancienne prostituée : Credonia Merinde. Celle-ci disait avoir reçu des messages de la Vierge Marie et du Christ. Selon un ancien membre de la secte, le père Paul Ikasire, elle était motivée par la cupidité et réclamait beaucoup d'argent aux adeptes. Ceux-ci s'étaient installés sur cette propriété avec leurs enfants, après avoir vendu leurs terres et tout ce qu'ils possédaient, offrant le bénéfice des ventes à leurs chefs. Ceux-ci commencèrent à prêcher ouvertement que la fin du monde était proche et qu'il ne restait qu'à attendre en pénitence ce jugement, prévu pour le 31 décembre 1999.

Cette période étant passée sans que rien ne se produise, certains adeptes avaient mis de la pression sur leurs chefs, leur demandant de leur restituer leurs biens, parfois sur un ton très menaçant. L'hypothèse principale qui permettrait d'expliquer ce drame, c'est que Kibwetere, mis au pied du mur, ait alors décidé de faire périr tous ses fidèles, plutôt que d'être victime d'une vengeance ou de se voir contraint de restituer les biens qu'il s'était appropriés. Cette hypothèse est confirmée par les journaux ougandais qui racontent que certains témoins l'auraient vu s'éloigner du lieu où étaient rassemblés les adeptes de son Mouvement avant que les flammes ne s'emparent d'eux.

Au sujet de cette secte, l'évêque de Kabale, dont Kanungu fait partie, Mgr Robert Gay M.Afr. dit ceci : "Tout l'aspect religieux du Mouvement a été importé. Ses membres ont abusé de certains symboles ayant trait à des dévotions valides. Il n'y a rien de mauvais au fait de jeûner, de se retirer dans la solitude et le silence, jusqu'à ce qu'on le fasse de façon excessive (…) La majorité des gens qui se sont joints à cette secte, particulièrement les femmes et les enfants, ne savaient même pas qu'elle était proscrite par l'Église et que ses prêtres étaient excommuniés."

Les sectes poussent comme des champignons en Afrique et plus spécialement en Ouganda. Sa population, très religieuse, a un sens poussé du sacré et de la Transcendance. Au Buganda, les gens se quittent en disant : "Akukuume", c'est-à-dire : "Que Dieu te garde!" De plus, les Africains, en général, accordent beaucoup d'importance à la communauté et à la famille. Il est de notoriété publique que le succès des sectes provient en grande partie de la chaleur, de la fraternité, de la solidarité et de l'accueil que les gens y trouvent. L'attirance devient encore plus vive quand la secte offre un salut intégral qui inclut les guérisons. Le gourou, se servant de la Bible, et de l'interprétation fondamentaliste qu'il en fait, attire les gens dont la foi est parfois superficielle et qui sont avides de nouveauté. Épris d'autorité, plusieurs Africains se laissent envahir par l'influence de chefs charismatiques et de leaders religieux peu scrupuleux. La tragédie de Kanungu peut alors s'expliquer par une soumission et une dévotion hystérique des adeptes du Mouvement envers leurs gourous.

Dans ce pays, outre la secte en question, on dénombre un certain nombre d'expériences semblables. Il y a par exemple "L'Armée de Résistance du Seigneur", dirigée par M. Joseph Kony. Il s'agit d'un mouvement de rebelles qui se qualifie chrétien et s'oppose, armes à la main, au régime de M. Museveni. Au cours de ces dernières années, il s'est rendu coupable d'innombrables tragédies et d'enlèvements de centaines d'enfants, utilisés soit pour combattre soit pour des abus sexuels.

Toujours en Ouganda, les autorités gouvernementales ont démantelé, en septembre 1999, les activités d'une autre secte apocalyptique, "l'Église du dernier message d'avertissement mondial" dont les adeptes étaient accusés d'enlèvements d'enfants et de violences sexuelles sur des enfants mineurs. Au mois de novembre, la police a mis fin à l'action d'une autre secte, à la tête de laquelle se trouvait une jeune fille de 19 ans, Nabassa Gwajwa. Elle se disait prophète, affirmait être morte en 1996 et avoir été renvoyée sur terre par Dieu pour inviter les fidèles au repentir, à l'occasion de l'an 2000. Mais le phénomène des sectes touche aussi d'autres pays voisins comme le Rwanda et le Burundi.

En ce qui concerne l'Église catholique (qui n'est pas une secte: voir plus loin "Église"1) au Rwanda, la propagande gouvernementale l'a attaquée de façon répétée et accusée notamment de responsabilités dans le génocide de 1994. Et, bien que l'on dénombre 248 religieux catholiques, dont 3 évêques, 103 prêtres et 65 sœurs, parmi les victimes, les autorités ont entamé un procès contre un évêque, accusé de génocide. Ces attaques répétées ont créé un profond sentiment de désorientation parmi les fidèles. Qui plus est, les autorités ont mis en acte une "libéralisation religieuse" qui a eu pour effet de multiplier le nombre d'Églises (de 8 à 300) qui se définissent chrétiennes.

Selon la psychiatre Florence Baingana, chargée des questions de santé mentale au ministère de la Santé en Ouganda, le passage à l'an 2000, la pauvreté et la désillusion politique ont alimenté les mouvements sectaires. Les gens éprouvent un vide spirituel. Notre histoire nous a rendus plus vulnérables parce que la vie a été très dure. Sous Idi Amin Dada (1971-79), seuls les cultes protestant, catholique et musulman étaient autorisés. Maintenant, nous sommes dans une époque de libéralisation (…) et il n'y a pas de contrôle, conclut-elle.

Serge Truffaut du journal Le Devoir concluait pertinemment dans son article intitulé La fatalité meurtrière (3 avril 2000) : "Entre les famines qui ont saigné l'Éthiopie et la Somalie, le génocide rwandais, et l'épidémie du sida en Ouganda, une espèce de culture faite de fatalité et d'un profond pessimisme s'est abattue sur une région par ailleurs économiquement très pauvre. Il n'en fallait pas moins pour que des mouvements d'origine souvent nord-américaine et brésilienne s'installent à demeure et agitent le diapason de l'espoir auprès de milliers de personnes ne sachant plus à quel saint se vouer. Selon Jean-Pierre Dozon, directeur du Centre d'études africaines de l'École des hautes études en sciences sociales de Paris, les gens perdent leurs repères. La famille se démembre. Les sectes expliquent à ce public disponible que tout ce qui leur arrive est le fait du diable, qu'ils proposent d'exorciser. On leur extorque alors le peu d'argent qu'ils ont.

Après quoi, on les massacre."

Quelles leçons pourrait-on tirer d'une telle tragédie ?

Certainement celle-ci : ne pas donner trop de pouvoir et de confiance aux gourous et garder un jugement critique face à l'Église à laquelle on appartient, quelle qu'elle soit.

Le contrôle des autres au nom de Dieu est le plus dangereux de tous. Que de massacres au nom d'un dieu que l'on adore!

Voici donc quelques points de repère pour aiguiser son sens critique.

 

1 Une "Église" à laquelle ne pas adhérer

Ici, bien sûr, on ne parle pas des grandes traditions ecclésiales issues du christianisme telles les Églises Catholiques et Orthodoxes, ou celles issues directement de la réforme protestante (Anglicane, Réformée, Anabaptiste et Luthérienne). Elles ont leurs propres mécanismes d'autocritique qui les empêchent de manipuler leurs fidèles. Occasionnellement, on peut retrouver des déviations (on pense à l'Inquisition et aux Croisades de l'Église Catholique), mais normalement l'autorégulation est de mise. Plus nous nous éloignons de ces grandes Églises officielles, plus nous tombons dans des sectes aléatoires qui sont assujetties aux fantasmagories de gourous illuminés. On peut décrire les sectes (dont celle de Kanungu) de la manière suivante : elles sont nées d'une coupure avec les Églises déjà existantes; parce que ces dernières sont corrompues, disent-elles, il faut s'en séparer pour être sauvé. Les sectes condamnent, plus ou moins sévèrement , ceux qui n'acceptent pas leur doctrine, et réservent la vie éternelle à leurs fidèles uniquement. La Bible est souvent interprétée au pied de la lettre, ou selon la pensée personnelle du fondateur.

C'est pourquoi l'on ne devrait jamais adhérer :

- À une Église infaillible qui se croirait parfaite;

- à une Église qui monopoliserait Dieu;

- à une Église qui n'assurerait le salut qu'à ceux et celles qui en font partie;

- à une Église où l'on ne pourrait prier Dieu qu'en son sein;

- à une Église fondamentaliste qui ne ferait qu'une lecture littérale de la Parole de Dieu,

et qui n'accorderait à personne le bonheur de la faire sienne;

- à une Église qui serait sectaire, n'accueillant chez elle que les membres

d'une race, d’une culture ou d’une caste.

 

- À une Église inflexible qui exclurait l’être humain pour une faute de fragilité;

- à une Église pour qui il serait plus grave de contrevenir au sixième

commandement que de pratiquer la justice;

- à une Église incapable de comprendre que l'être humain est en cheminement,

et qu'il a donc droit à l'erreur;

- à une Église qui refuserait de remettre à l'être humain la responsabilité

de ses actes;

- à une Église qui placerait la loi au-dessus de la conscience;

- à une Église qui serait davantage du côté des préceptes que du côté de la vie.

 

- À une Église, puissante et riche, qui exigerait de ses membres

la remise de tous leurs biens en échange de leur salut éternel;

- à une Église élitiste qui se serait éloignée du pauvre et du petit en se faisant

l'alliée des puissants de ce monde.

 

- À une Église violente qui encouragerait les guerres de religion

au nom d'un Dieu unique;

- à une Église qui refuserait à l’être humain la liberté de la rejeter

et même de la combattre;

- à une Église qui empêcherait l’être humain de comprendre le monde

autrement qu'elle, le traitant alors d'hérétique et le condamnant par anathèmes;

- à une Église trop avide de pouvoir et trop vieille pour s'agenouiller;

à une Église incapable de reconnaître ses erreurs et d'en demander pardon.

 

- À une Église dominatrice qui n'apprécierait que des gens soumis, aveugles et

automates, ne remettant jamais en question les décisions de ses chefs;

- à une Église que les âmes intéressent, mais pas les personnes;

- à une Église indifférente à la vie actuelle, seulement intéressée par la vie future;

- à une Église qui encouragerait l'évasion terrestre par le suicide de ses membres;

- à une Église qui permettrait le meurtre de ses adeptes plutôt que de leur

permettre de lui demander des comptes.

 

- À une Église dans laquelle on ne pourrait pas espérer contre toute espérance.

 

L'Église à laquelle on devrait adhérer, c'est l'autre Église, celle du Corps du Christ : une Église servante et humble, à l'image de son maître.

Michel Fortin, M.Afr.


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