Africana Plus  

No 85 Mai 2009.3



Les enfants de la guerre en Afrique de l'Est


Des rapports des Nations Unies évaluent que, depuis quinze ans, 2,000,000 d’enfants ont été tués dans les guerres et les conflits qui font rage dans le monde, rendant infirmes plus de 4.5 millions d’entre eux, plusieurs mutilés par les mines terrestres et occasionnant parmi eux 12 millions de sans-abri.

« Lorsque je suis revenue du Soudan, j’avais été l’esclave sexuelle d’un commandant rebelle, ainsi que d’un de ses subalternes et de deux autres rebelles plus âgés. J’ai accouché d’un bébé qui est mort après quelques jours. J’ai été l’esclave de ces rebelles pendant dix-neuf mois. Je crois que je ne me marierai plus jamais. » Voilà le témoignage d’une jeune fille qui avait été kidnappée par l’Armée de Libération du Seigneur au nord de l’Ouganda.

Si on réfléchit à la grande variété des styles de vie du continent africain, on peut se demander si les enfants, nés et vivants dans ces régions de conflits, seront en mesure de prendre des décisions sages dans l’avenir. Seront-ils capables de transformer ce qu’ils ont vécu ou vivent présentement en des valeurs positives, c’est-à-dire des valeurs dignes de tout être humain ?

Depuis vingt ans, quelques pays de l’Afrique de l’est, ainsi que bien d’autres régions du continent africain, ont connu des guerres civiles. Tout le nord de l’Ouganda est bouleversé par l’Armée de Libération du Seigneur (LRA), dirigé par Joseph Kony : enlèvement et tueries sont choses communes. De plus, il faut ajouter la guerre du Soudan : c’est la région Sud du pays qui réclame son autonomie face au gouvernement arabe du nord. Enfin, il y a aussi la crise du Darfour, crise que plusieurs considèrent comme le génocide du 21e siècle.

Si l’on considère la nature destructive et arbitraire de toute guerre, il existe un groupe de personnes qui nous semblent parmi les plus vulnérables. À cause de leur âge et de leur immaturité émotionnelle, les enfants sont les grandes victimes de la guerre. Sur les champs de bataille, ils sont non seulement tués, mais aussi violés, mutilés et humiliés. De plus, de nombreux enfants subissent des violences sexuelles causées par l’anarchie des conflits armés, devenant ainsi affamés et malades. Dans le cas du nord de l’Ouganda, des jeunes filles kidnappées par les rebelles deviennent  les « épouses » de leurs chefs. Si ce chef rebelle meurt, la jeune fille devient « l’épouse » d’un autre rebelle, après une certaine forme de purification rituelle. Alors, posons-nous la question : pourquoi différents groupes rebelles de par le monde s’acharnent-ils sur ces enfants-soldats, etc…? Fondamentalement , on fait subir cette cruauté aux enfants, parce qu’ils sont naturellement incapables de se défendre ou même incapables de s’adapter aux conditions et aux milieux hostiles engendrés par l’insécurité découlant de ces conflits. Ces enfants deviennent alors tragiquement malléables entre les mains de ces personnages amoraux et sans pitié.

Des rapports des Nations Unies évaluent que depuis quinze ans, deux millions d’enfants ont été tués dans les guerres et ces conflits qui font rage dans le monde, rendant infirmes plus de quatre millions et demi de ces enfants, plusieurs mutilés par les mines terrestres et occasionnant parmi eux douze millions de sans-abri. De plus, les statistiques nous révèlent qu’il y aurait, de par le monde, 300,000 enfants-soldats, incluant beaucoup de jeunes filles forcées d’être au « service » (sexuel) des troupes. Malheureusement, des millions d’enfants sont piégés par ces conflits : même s’ils sont innocents, ils deviennent des cibles faciles, alors qu’ils ne sont que des spectateurs. Plusieurs d’entre eux deviennent des victimes de tueries généralisées parmi les populations civiles tandis que d’autres sont assassinés. On a qu’à penser au génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994. C’est ainsi que, depuis quelques années, des millions parmi eux ont été gravement blessés ou sont aux prises, d’une façon permanente, avec des troubles mentaux, physiques et spirituels, parce que des milliers de ces enfants ont été forcés d’assister, ou même de prendre part à des actes d’une violence horrible.

Mme Graca Machel, avocate internationale pour l’enfance, constate dans son livre, « The Impact of War on children », que les enfants sont le groupe le plus vulnérable dans nos sociétés. Elle affirme que les enfants et les femmes sont victimes à plus de 80% des blessés de guerres et de conflits ainsi qu’à 80% des 40 millions de personnes réfugiées de par le monde et chassées de leur foyers.

Effets des grands bouleversements politiques sur le bien-être humain

De nos jours, ces atrocités sont à l’origine des plus grandes privations et oppressions de ce monde. En d’autres mots, nous vivons dans un monde caractérisé par de grands bouleversements politiques où la course au contrôle des ressources naturelles s’édifie aux dépens de la pauvreté généralisée; de plus, ce chaos économique en arrive à supplanter le besoin et l’importance d’un développement social du bien-être humain. Cette attitude de politique égocentrique engendre les conflits qui détruisent inévitablement la liberté des enfants et les possibilités de construire leur propre vie. Cela diminue leur capacité de bien se développer en tant qu’êtres humains pleinement actifs dans la société.

Les enfants de l’Afrique de l’est, ainsi qu’à d’autres endroits du continent africain, ont été tellement privés de leurs droits que nous avons là une preuve suffisante que l’Afrique (l’Afrique de l’est en particulier) a grand besoin d’une réforme importante. Cependant, ce qui est encore plus inquiétant, pour l’Afrique, c’est bien cette perte du sens moral des valeurs dans laquelle on s’engouffre. Voilà ce qu’ont fait subir à ces enfants les formes extrêmes de brutalité humaine : brutalité qui leur a fait perdre la possibilité d’apporter éventuellement des réformes dans leurs propres nations décimées par la guerre.

 

La guerre bafoue les droits de l’enfant

Dans cette privation des droits humains, le pire facteur vient du fait qu’on fait perdre à ces enfants la possibilité d’un développement social normal qui les aiderait alors à bâtir leur propre vie. Une des conséquences tragiques de chaque conflit et de chaque guerre civile provient certainement de l’énorme destruction des valeurs sociales, tant du point de vue physique, qu’humain, moral et culturel. Non seulement un grand nombre d’enfants y sont tués ou blessés, mais combien d’autres grandissent privés de leurs besoins matériels et émotionnels. De plus, on les prive des structures de base qui pourraient donner une grande valeur à leur vie sociale et culturelle. De toute façon, ces guerres bafouent tous les droits de l’enfant : le droit à la vie, le droit de vivre au sein d’une famille et d’une société, le droit à la santé, le droit de développer sa personnalité, le droit d’être nourri et protégé, ainsi que le droit d’accéder à bien d’autres avantages sociaux, telle que l’éducation.

La guerre fait perdre aux enfants la possibilité d’être des citoyens utiles

                   Les enfants qui ont accès à l’éducation sont certainement avantagés comme futurs citoyens. Jouir d’une bonne santé et d’un milieu paisible permet aux enfants d’acquérir une bonne opinion d’eux-mêmes, contribuant ainsi à développer leur propre personnalité et leur maturité. Toutefois, si les structures sociales de leurs sociétés sont battues en brèche, comme la famille, le système de santé, la religion, c’est leur vie entière qui s’écroule. On leur enlève ainsi de multiples possibilités de s’épanouir dans la société en tant que citoyens actifs plutôt que passifs.

                   Ce manque de liberté peut s’aggraver énormément si le conflit perdure durant toute la période de leur enfance, comme ce fut le cas dans le conflit du nord de l’Ouganda, dans les guerres civiles de la Somalie et du sud du Soudan. Dans ces pays, où les enfants (de leur naissance à l’adolescence) ont subi à répétition de nombreuses agressions, tout leur milieu social et communautaire s’est effondré. Leurs relations humaines qui sont normalement les bases de leur développement physique, moral, éducationnel et social ont été anéanties, ce qui entendre chez eux de graves troubles physiques et psychologiques.

Beaucoup d’effets néfastes restent ignorés

                   Je voudrais souligner le fait que de nombreux effets néfastes de ces guerres qui affectent les enfants restent ignorés, inconnus ou difficiles à cerner. Quand ces enfants ont été déplacés de leurs villages et séparés de leurs parents, (comme on peut le constater parmi les milliers qui sont seuls ou orphelins), la grande majorité d’entre eux finissent par opter pour l’itinérance et la prostitution comme seuls moyens de survivre économiquement. De plus, pour ceux qui ont perdu leurs parents, ce qui les attend, c’est le plus souvent, l’humiliation, le rejet et la discrimination sociale. Pendant des années, les victimes innocentes de ces guerres et de ces conflits souffrent en silence parce que leur dignité s’effrite peu à peu, ce qui les rend très fragiles devant les situations où ils sont traités comme des être humains sans aucune valeur et dignité.

                   On peur donc conclure que la réputation future de l’Est Africain et du monde repose sur ce que les enfants apprennent et expérimentent. Nos aînés nous répètent que notre plus grande richesse humaine réside surtout dans l’âme de nos enfants. Si nous continuons à tolérer que ces guerres et ces conflits détruisent ces enfants physiquement et moralement, nous détruirons alors notre plus grande richesse..

 

Augustine Ekeno

New People, Mars-Avril 2009


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