Africana Plus  

No 99 Octobre 2012.3



Afrique exploitée


L'occidental moyen se tient plus ou moins informé de la crise économique mondiale, selon qu'elle le touche directement et souvent douloureusement, ou qu'il n'en mesure pas la gravité, n'étant pas encore concerné dans sa vie quotidienne ou son emploi. Mais le monde est vaste. Il est des continents où se joue quotidiennement la vie de millions d'innocents. L'Afrique est la plus touchée. La cause en est la cupidité de certains, individus ou pays. L'Osservatore Romano en dit parfois un mot, l'agence Fides glisse tel fait divers, tel massacre ponctuel dans ses communiqués. Mais si l'on comprend le silence des États cyniques qui bénéficient sans vergogne des troubles persistants en divers pays du monde et particulièrement en Afrique, des États qui sont partie prenante de ces troubles, comme fournisseurs d'armes et acheteurs prioritaires des minerais ou autres richesses pillées, on est en droit de s'étonner que l'Église officielle se fasse si peu l'écho des cris d'alarme des pasteurs des Églises locales. On est en droit de s'étonner aussi du silence des pasteurs des Églises des pays agresseurs.

 

Le drame de l'Afrique centrale, par exemple, est devenu d'une telle gravité depuis une quinzaine d'années que l'ONU commence enfin à réagir et l'on parle même d'un certain émoi au Conseil de Sécurité... 5 millions de morts, tels sont les chiffres avancés, et les meurtres ne cessent pas : l'Église en son sommet n'aurait-elle pas dû être la première à s'indigner, quitte à importuner les pays responsables et se mettre à dos, une fois de plus, les médias ? Trop d'organes d'information de notre Église restent confidentiels : leur audience est trop limitée. Il est vrai que les radios ou chaînes de télévision se gardent bien d'en répercuter les révélations ; à moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse d'un scandale : alors oui, quelle aubaine ! On en parle durant des jours...

 

Or maintenant, l'accaparement des terres par les pays du golfe Persique, l'Inde, la Chine, voire les États-Unis et l'Europe, vient s'ajouter au pillage des richesses et à la misère des Africains. Dépouillés de leurs champs, avec la complicité de leurs gouvernements ou des chefs coutumiers, les paysans, qui tiraient péniblement, de ce lopin de terre, un repas par jour, vont grossir les rangs des miséreux qui s'entassent dans les banlieues tentaculaires des grandes villes où ils ne trouveront ni nourriture ni emploi. Le n° 160 de la revue Africana (Madrid), revue missionnaire de petite audience, a consacré un bon dossier à ce scandale. Un seul exemple : en Éthiopie, où il est avéré que 13 millions de personnes ont besoin d'une aide alimentaire, le gouvernement éthiopien offre au moins 3 millions d'hectares de ses terres les plus fertiles à certaines grosses fortunes et à des pays riches qui exportent chez eux les aliments produits. Presque tous les pays d'Afrique sont touchés par ce phénomène d'accaparement des terres ou par la destruction de forêts entières de bois précieux... Et le niveau de vie baisse, la famine touche le grand nombre, la mortalité augmente et ne parlons pas du désastre écologique quand les accapareurs lancent, par exemple, la culture de l'arbuste appelé jatropha ou pourghère : cette plante et le soja, le maïs, la canne à sucre exigent énormément d'eau pour produire, à l'usage des pays riches, des bio-carburants comme le biodiésel ou le bioethanol. Or qui ne sait que le manque d'eau est l'un des problèmes les plus graves de l'Afrique ?

 

Je sais que les scandales qui l'ont affectée, les années passées, peuvent faire hésiter une Église si souvent perçue, jadis, comme une donneuse de leçons. Mais il s'agit de faits si graves qu'il faudrait avoir le courage de parler. Les téléphones portables du Vatican, ses téléviseurs, ses ordinateurs -et il doit y en avoir des milliers- sont tous marqués, comme ceux de chacun de nous, du sang innocent des victimes des pillages et des massacres perpétrés dans la région des Grands Lacs d'Afrique, en ce moment même. Deux enfants y meurent chaque jour dans l'éboulement de puits non étayés où on leur fait chercher, pour un salaire misérable, le coltan, minerai indispensable à la fabrication de nos gadgets de nantis. Ces puits dangereux sont la seule école que connaissent quantité d'enfants, surveillés par des soldats ou miliciens armés.

 

L'Église, au courant de ces abus dénoncés dans les rapports des missionnaires sur place, ne peut espérer, je l'ai dit, voir ses cris d'indignation repris par la presse occidentale : les gouvernants qui bénéficient des matières premières pillées ne le toléreraient pas, car on ne dit sur les chaînes nationales que ce qui leur agrée. Mais l'Église dispose de tribunes, ne serait-ce que l'ambon de nos églises encore ouvertes, les bulletins diocésains, les conférences épiscopales. Or, leur silence est assourdissant. Notre Église perd encore ici une bonne occasion de se démarquer des puissances profanes, alors qu'elle a, elle aussi, son programme de gouvernement : ce sont les Béatitudes de Jésus, dont la préférence alla toujours aux petits, aux exploités, aux brimés ; le rôle de son Église ici-bas n'est-il pas de procurer aux hommes, à tous les hommes, le bonheur vrai auquel ils ont droit ? Heureux... ! Que de fois Jésus a proclamé ce mot ! Il nous veut heureux, tous, tous ensemble et partout. Je ne pense pas déformer ici son message.

 

Armand Duval, M. Afr.

Tiré de son livre "Lettre à Benoît XVI"

Imprimé en Grande Bretagne au Presse Amazon en 2012


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